Tshisekedi-Kagame: la guerre des mots, le point de non-retour

Tshisekedi-Kagame: la guerre des mots, le point de non-retour

Rien ne va plus entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Les présidents rwandais et congolais règlent leurs comptes par discours interposés. Kagame conteste la légitimité de Tshisekedi, alors que le président congolais appelle à se débarrasser de dirigeants comme Paul Kagame.

Le point de non-retour semble bel et bien atteint dans les relations tumultueuses entre Kigali et Kinshasa. A quelques jours d’intervalle, les présidents rwandais et congolais se sont envoyés leurs quatre vérités devant leurs Assemblées nationales respectives. C’est le président rwandais, Paul Kagame, qui a dégainé le premier, lors d’un discours d’Etat le 30 novembre dernier. Le chef de l’Etat rwandais, plutôt avare en sortie médiatiques sur la situation congolaise, n’y est pas allé de main morte. Devant un parterre de parlementaires, Paul Kagame a tout d’abord accusé Félix Tshisekedi de ne pas tenir sa parole. « Il nous a laissé entrer poursuivre les interhamwe (FDLR, ndlr) qu’on avait repéré au Congo, et maintenant son armé travaille avec ces mêmes interhamwe ». Et d’enfoncer le clou : « J’entends certains dire ne pas exclure une guerre avec le Rwanda. Si vous cherchez quelqu’un qui s’y connaît, venez me voir ! »

Un président congolais illégitime

Le président rwandais a ensuite réfuté être responsable de la crise à l’Est de la RDC, alors que « le monde entier » accuse le Rwanda de soutenir le M23. Pour Paul Kagame, Félix Tshisekedi cherche tout simplement à tirer un bénéfice politique de la guerre avec le M23 avant la présidentielle, prévue le 20 décembre 2023.

« S’il essaie de trouver un autre moyen de faire reporter les prochaines élections, alors je préférerais qu’il utilise d’autres excuses, et pas nous »

a fustigé Paul Kagame, soulignant également que le président congolais n’avait jamais remporté les élections de 2018. Un secret de polichinelle, que pourtant aucun président africain n’avait jamais été dénoncé.

Kagame contre-attaque

La charge de Paul Kagame contre la RDC ne tombe pas par hasard. Le mini-sommet régional de Luanda de fin novembre n’a rien donné sur le terrain militaire. Le M23, qui ne se dit pas concerné par l’accord de retrait de ses troupes des zones occupées, n’a pas reculé d’un iota. Les combats ont même repris ces derniers jours, violant ainsi un cessez-le-feu qui n’a tenu que 5 petits jours. Mais face à l’offensive diplomatique des pays de la région, Angola et Kenya en tête, Kigali a donc décider de contre-attaquer, en mettant Kinshasa devant ses faiblesses, et notamment le manque de légitimité de ses dirigeants.

Kagame « le faiseur de guerre »

A Kinshasa, la réponse du berger à la bergère ne s’est pas fait attendre. Dans un premier temps, c’est le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, qui est monté au créneau. « Je pense que le président Kagame n’a pas de qualité pour faire un quelconque commentaire sur ce qui concerne les élections », avant de se demander si la liberté d’expression existait au Rwanda. Mais ce week-end, c’est Félix Tshisekedi en personne qui a décidé de répondre à son homologue rwandais. Le président congolais s’est tout d’abord étonné que Paul Kagame « s’enorgueillisse d’être un faiseur de guerre, un spécialiste dans la guerre. Il en est fier, moi à sa place, je me cacherai » a répliqué Tshisekedi. « J’aurais honte d’assumer le fait qu’on sème la mort et la désolation, c’est honteux, et même diabolique ».

Une rupture franche avec Kagame

Le chef de l’Etat congolais est allé plus loin dans la dénonciation du régime rwandais, qu’il accuse de soutenir les rebelles du M23. Seul lui, il faut « débarrasser l’Afrique » de ce genre de dirigeants. Des dirigeants « rétrogrades qui ramènent les méthodes des années 1960 et 1970, alors qu’en Afrique, on avait décidé de mettre fin au bruit des armes. En 2020, nous nous étions entendus comme ça. Malheureusement, ce n’est pas arrivé ». Le président congolais a donc décidé d’acter une rupture franche avec son homologue rwandais. Une posture toute relative, alors que l’armée congolaise n’a pas réussi à reprendre du terrain sur les rebelles et que la force régionale est-africaine se hâte lentement et n’est toujours pas passé à l’offensive.

Un discours anti-Rwanda glissant

Le président congolais a également cherché à mesurer son discours belliciste envers le Rwanda.

« Ne haïssez pas les étrangers. Ça ne sert à rien de regarder le Rwandais comme un ennemi. Non, c’est le régime rwandais avec Paul Kagame à sa tête qui est l’ennemi de la RDC », a-t-il souligné. « Les Rwandais et Rwandaises sont nos frères et sœurs ».

Félix Tshisekedi sait bien que ce type de discours anti-Rwanda est particulièrement glissant au Congo. La conseillère spéciale des Nations Unies pour la prévention du génocide, Alice Wairimu Nderitu, en visite à Kinshasa, s’est déclarée très préoccupée par « la diffusion de discours de haine, mais aussi par les attaques généralisées et systématiques, contre en particulier les Banyamulenge sur la base de leur appartenance ethnique ». « Pour trouver une solution au conflit en cours, note la conseillère spéciale, il faudrait s’attaquer aux causes sous-jacentes de la violence et tirer les leçons du passé. » Des leçons visiblement jamais tirées.

(Bakolokongo avec Christophe Rigaud – Afrikarabia)