RDC/Rapport Mapping: Roger Lumbala, ancien chef d’un mouvement rebelle, arrêté à Paris

RDC/Rapport Mapping: Roger Lumbala, ancien chef d’un mouvement rebelle, arrêté à Paris

L’ancien chef de guerre du RCD-N a été arrêté le 29 décembre dernier à Paris. Roger Lumbala est soupçonné de «complicité de crimes contre l’humanité» commis entre 2000 et 2003 dans les provinces de l’Ituri et du Haut-Uélé.

Le 30 août 2020, l’ex-rebelle congolais Roger Lumbala lançait devant un parterre de journalistes à Kinshasa une énième plateforme politique : Base de la République. « Ma base voulait me voir réintégrer ma famille politique d’origine. Elle veut que Roger Lumbala et les siens accordent leur soutien sans faille au président de la République Félix Tshisekedi » se félicitait l’ancien patron de l’UDPS en France, qui apprécie parler de lui à la troisième personne. En octobre, il soutient une nouvelle fois le chef de l’Etat et ses Consultations nationales auxquelles il participe. Mais l’ancien chef rebelle de la « deuxième guerre du Congo » ne sait pas qu’au même moment, à Paris, l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité (OCLCH), en lien avec le Parquet anti-terroriste, attend de pied ferme son retour en France… pour l’interpeller.

A la tête du RCD-N

C’est le 29 décembre, selon le journal Le Monde, en pleine rue, à Paris, que Roger Lumbala, qui effectue de nombreux allers-retours entre la France et la République démocratique du Congo (RDC) est finalement arrêté. L’ancien rebelle est placé en garde à vue, puis mis en examen le 2 janvier 2021 pour « participation à un groupement formé en vue de la préparation de crimes contre l’humanité » et « complicité de crimes contre l’humanité ». Les faits reprochés remontent à la « deuxième guerre du Congo », entre 2000 à 2003. A cette époque, c’est un Roger Lumbala en treillis qui préside le Rassemblement congolais pour la démocratie-National (RCD-N), un mouvement rebelle soutenu par l’Ouganda. Pillages, tueries, exactions contre les civils, les troupes de Lumbala écument ces deux provinces de l’Est de la RDC en semant la terreur.

Opération « Effacer le tableau »

Le nom de Roger Lumbala apparaît page 232 du célèbre Rapport Mapping, un document de l’ONU qui recense les exactions et les crimes commis entre 1993 et 2003 au Congo. Le rapport documente, province par province, 617 « incidents ». Des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité mais aussi « de possibles crimes de génocide ». Entre 2001 et 2003, les troupes de l’ALC, l’armée du MLC de l’actuel leader politique Jean-Pierre Bemba, et des militaires du RCD-N de Roger Lumbala ont affronté à plusieurs reprises les éléments de l’APC, l’armée du RCD-ML, pour le contrôle du district du Haut-Uélé. Les troupes de Lumbala participent à la triste opération « Effacer le tableau », qui visait « à détruire définitivement l’APC de façon à priver le
gouvernement de Kinshasa de son allié, le RCD-ML, à l’Est du Congo et à mettre la main sur les ressources naturelles encore sous contrôle du RCD-ML ».

Tortures, mutilations… cannibalisme

Le Rapport Mapping va plus loin : « entre le 31 juillet et le 2 août 2002, les éléments de l’ALC participant à l’opération « Effacer le tableau » ont torturé, mutilé et tué au moins 16 combattants de l’APC mis hors de combat ainsi qu’un nombre indéterminé de civils, dont des femmes et des enfants. Les militaires de l’ALC ont utilisé les organes de certaines de leurs victimes (sexe et oreilles) comme trophées de guerre et les ont montrés à la population d’Isiro. » Pire, l’opération « Effacer le tableau » se seraient livrés, après les combats, « à des actes de cannibalisme. »

Politique business

Dès la fin de la guerre, en 2003, Roger Lumbala va profité du partage du pouvoir dans le fameux « 1+4 », un gouvernement présidé par Joseph Kabila et 4 vice-présidents. Lumbala, le chef de guerre, se mue en homme politique et fait un passage éclair au ministère du commerce extérieur avant de se faire débarquer par Joseph Kabila pour « détournement de fonds. » Ironie du sort, c’est sa femme qui va avantageusement le remplacer au ministère. Le rebelle fait désormais « des affaires » dans le marigot kinois où la politique est devenue un business comme les autres entre corruption et prédation. Il soutient Etienne Tshisekedi en 2011 et se fait élire député du Kasaï.

Négociateur du M23

Agitateur politique fantasque, l’honorable député Lumbala cible Joseph Kabila, qu’il menace régulièrement. On le soupçonne de vouloir réactiver une rébellion contre le pouvoir central congolais. Kinshasa le fait interpeller au Burundi où des rébellions sont actives à l’Est du Congo. Il se réfugie à l’ambassade d’Afrique du Sud et regagne la France où vit sa famille. Le statut de réfugié politique lui est refusé, mais Roger Lumbala a trouvé entre temps une nouvelle cause à défendre : les rebelles du M23 qui contestent le pouvoir de Joseph Kabila et marchent sur la ville de Goma, qu’ils occuperont brièvement fin 2012. Le 1er janvier 2013, le site officiel du M23 annonce la présence de Roger Lumbala à Bunagana comme « invité » aux pourparlers de Kampala entre le M23 et le gouvernement congolais. Il est nommé chef de la délégation adjoint aux négociations.

Signalé au pôle « crimes contre l’humanité »

En 2016, le quotidien Le Monde affirme que Roger Lumbala « fait l’objet d’un signalement auprès du pôle crimes contre l’humanité du parquet de Paris, qui charge l’OCLCH des investigations » Avec l’arrivée à la présidence de Félix Tshisekedi, le fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi, Roger Lumbala croit pouvoir encore peser sur l’échiquier politique congolais… en vain. La roue a désormais tourné à Kinshasa et l’ancien rebelle et son RCD-N ne représentent plus que lui-même.

Lumbala contre le Rapport Mapping

L’ex-chef de guerre sent même le vent du boulet se rapprocher avec le retour Rapport Mapping dans le débat congolais, 10 ans après sa publication et sa mise au placard. En octobre, le patron du RCD-N fustige sur RFI le document qui demande que les crimes soient enfin punis : « Il ne s’agit pas de revenir encore sur la décision de la justice alors que la République démocratique du Congo en tant que pays souverain a déjà pris l’amnistie pour permettre la cohabitation et la réconciliation nationale. » Une déclaration qui va à contre-courant des milliers des congolais qui estiment, comme le prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege, qu’on ne peut pas sacrifier la justice sur l’autel de la réconciliation. Plusieurs manifestations populaires aux quatre coins du Congo réclament la réouverture du Rapport devant la justice.

Un effet Mapping?

Pour de nombreux observateurs de la vie politique congolaise, le Rapport Mapping semble produire ses premiers effets avec l’arrestation de Roger Lumbala à Paris. Parmi les auteurs des crimes, environ 200, sont cités des groupes rebelles congolais et les forces armées nationales de la RDC, de l’Ouganda, du Burundi, de l’Angola, du Rwanda… et d’autres groupes rebelles étrangers. Mais leurs noms n’ont pas été rendus publics par l’ONU… et la justice se fait toujours attendre. Si Kinshasa accueille dans un premier temps favorablement le rapport, sans jamais adopter la loi créant les chambres de justice mixtes, l’Angola, le Burundi, l’Ouganda, et le Rwanda ont systématiquement ignoré les exactions commises par leurs armées régulières. Mais l’arrestation de Roger Lumbala en France donne un signal fort, surtout à destination des anciens caciques du pouvoir de Kinshasa, dont un très grand nombre ont été impliqués dans les guerres sans fin du Congo. A Kinshasa, beaucoup se demandent qui sera le prochain ?

(Avec Christophe RIGAUD – Afrikarabia)