RDC: Mukwege, le Nobel qui embarrasse Kinshasa sur fond de transition sans Kabila

RDC: Mukwege, le Nobel qui embarrasse Kinshasa sur fond de transition sans Kabila

Le célèbre gynécologue congolais vient de recevoir,avec l’Irakienne Nadia Murad, le prix Nobel de la paix 2018. Un prix à connotation politique, qui remet en selle l’option d’une transition sans Joseph Kabila, prôné par Denis Mukwege, afin d’éviter des élections frauduleuses en décembre prochain. 

« L’homme qui répare les femmes », « docteur miracle »… les surnoms ne manquent pour l’un des Congolais les plus connus et respectés de la planète. Il faut dire que cette distinction est amplement méritée. Denis Mukwege, a passé sa vie au service des femmes victimes de violences sexuelles en République démocratique du Congo (RDC). Depuis 1996, dans son hôpital de Panzi, installé dans l’Est du pays, le célèbre gynécologue opère chaque jour plusieurs femmes dont les organes génitaux ont été détruits dans des viols collectifs. Depuis la fin du génocide rwandais en 1994, l’Est du Congo est le théâtre d’un conflit sans fin. Les combattants des nombreuses milices, qui pullulent encore dans la région, ne font aucune distinction, violant aussi bien les femmes âgées que les fillettes, parfois âgées d’à peine quelques mois – voir notre article.

« La région où je vis est l’une des plus riches de la planète (…) mais où le corps des femmes est devenu un véritable champ de bataille, et le viol est utilisé comme une arme de guerre », avait déclaré le docteur Mukwege en 2014, lors de réception du Prix Sakharov devant le Parlement européen. Plusieurs fois menacé de mort, Denis Mukwege avait fui la RDC en 2012 après une tentative d’assassinat. Depuis, il est revenu poursuivre son travail à Panzi sous protection de l’ONU.

Critique envers le pouvoir

Mais si la personnalité de Denis Mukwege fait l’unanimité à travers le monde, à Kinshasa, le pouvoir reste mesuré dans le concert de louanges. « Le gouvernement félicite Denis Mukwege du travail important et significatif qu’il fait en faveur de nos compatriotes, particulièrement des femmes victimes de violences sexuelles », a déclaré le porte-parole Lambert Mende sur la radio onusienne Okapi. Avant de nuancer : « Nous avons parfois des questions à nous poser sur la tendance qu’il a eu parfois à vouloir politiser cette action humanitaire et nous l’avons à chaque fois rappeler à l’ordre ». Et d’enfoncer le clou : « Denis Mukwege est un fonctionnaire de l’hôpital de Panzi. Si nous avions des doutes sur le travail qu’il fait, cela fait longtemps qu’il aurait été dégagé de ses responsabilités ».

Le célèbre gynécologue a toujours été très engagé politiquement. Très critique, il n’a jamais mâché ses mots contre le pouvoir congolais qui l’accuse d’être instrumentalisé par l’opposition. Car même si le président Joseph Kabila a décidé de ne pas passer en force et de désigner un « dauphin » pour lui succéder, Denis Mukwege pense qu’il n’y aura pas d’élections crédibles et transparentes cette année. « Tout est mis en œuvre, soit pour ne pas organiser les élections, soit pour tricher » dénonçait déjà le médecin avant de recevoir son Nobel de paix. Une position partagée par la majorité de l’opposition, qui exige le retrait de la machine à voter (possible source de fraude), et le nettoyage du fichier électoral, dans lequel 10 millions d’électeurs seraient inscrits sans empreintes digitales.

Le retour de la transition sans Kabila

Face au spectre d’élections chaotiques, le docteur Mukwege prône une période de transitoire, sans Joseph Kabila : « Ils doivent rendre le pouvoir à une transition qui va organiser des élections réellement libres, équitables et crédibles. Cette transition doit aussi poser les bases d’une démocratie solide. » Et face aux nombreux retards déjà pris dans l’organisation du scrutin et aux manques de moyens financiers – voir notre article -, il paraît tout à fait possible que les élections de décembre soient reportées pour la troisième fois. Et en cas de nouveau « glissement » du calendrier, la communauté internationale pourrait pousser une personnalité « neutre » à la tête de la transition.

Avec son nouveau statut de Nobel de la paix, Denis Mukwege ferait office de favori. Le médecin coche en effet toutes les cases : issu de la société civile, intègre, multi récompensé pour son action en faveur des droits de l’homme, reconnu internationalement, sans compromission avec le pouvoir… Denis Mukwege se positionne désormais en recours possible en cas de nouvelle transition politique en République démocratique du Congo. En septembre 2017, le gynécologue s’était déjà déclaré « disponible » pour servir son pays. Avec son nouveau prix Nobel, Denis Mukwege remet sur le tapis l’option d’une nouvelle transition, un temps balayé pour l’opposition dans l’espoir de remporter les élections. Mais face au chaos électoral qui s’annonce, et à la disqualification de Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, les deux principaux leaders de l’opposition, le scénario d’une transition sans Kabila revient sur la table.

(Avec Afrikarabia—Christophe RIGAUD)