« État de siège » dans l’Est de la RD Congo: le pari sécuritaire de Tshisekedi

« État de siège » dans l’Est de la RD Congo: le pari sécuritaire de Tshisekedi

Félix Tshisekedi a déclaré l’« état de siège » face à l’aggravation des violences dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. A deux ans des élections, le président congolais se doit de réussir à ramener la paix à l’Est pour honorer l’une de ses principales promesses de campagne.

L’Est du Congo continue de s’enfoncer dans la violence et l’opinion publique congolaise gronde. Embourbées dans un conflit sans fin depuis plus de 25 ans, les provinces orientales de la République démocratique du Congo (RDC) connaissent un inquiétant regain de violence. Plus de 1.000 personnes ont été massacrées depuis novembre 2019 dans la région… 300 depuis début 2021. Sur le banc des accusés, une bonne centaine de groupes armés, dont les plus nombreux, les ADF, se sont récemment ralliés sous la bannière de l’Etat islamique (EI). Mais sur les rangs, il y a aussi les forces armés congolaises, responsables de plus de la moitié des exactions et des violations des droits de l’homme. L’armée impuissante est également accusée d’avoir dans ses rangs des officiers corrompus, qui n’hésitent pas à faire business de l’insécurité qui règne dans cette zone riche en ressources naturelles. Certains experts pointent enfin des accointances dangereuses entretenues entre hauts gradés de l’armée et rébellions.

Le ras-le-bol de la population

Dans ce chaudron bouillant, le nouveau président congolais n’a pas réussi à inverser la tendance. Félix Tshisekedi avait pourtant déclaré être « prêt à mourir » pour ramener la paix à l’Est et promis d’installer son quartier général à Beni, l’épicentre des violences. De bonnes intentions qui n’ont, pour l’instant, jamais été suivies d’effets. Mais depuis plusieurs semaines, la pression s’est accentuée sur le président Tshisekedi. Des manifestations à répétition ont régulièrement secoué les principales villes de l’Est du pays. Un sit-in d’écoliers de Beni a été dispersé dans la violence la semaine dernière, suscitant l’émoi dans la population. Pendant six jours, les jeunes manifestants avaient réclamé la venue du président Tshisekedi à Beni. La répression de ce mouvement pacifique a poussé le chef de l’Etat à promettre un déplacement prochain dans la région.

Vers une administration militaire

Pour enrayer la spirale de la violence, Félix Tshisekedi a donc annoncé la mise en place de l’ »Etat de siège » au Nord-Kivu et en Ituri. Pour le moment, les contours des mesures sont encore flous, mais certaines dispositions pourraient être instituées rapidement. Une administration militaire pourrait alors placer les institutions provinciales (gouverneur, maires… ) sous leur autorité. Certaines élites locales sont, en effet, régulièrement accusées de collusion avec les rebelles. En mars, le nouveau président de l’Assemblée nationale avait d’ailleurs demandé à nombre de ses collègues de « quitter les groupes armés ». Reste à savoir si les membres de cette administration militaires seront irréprochables. Certains militants des droits de l’homme redoutent une mise sous cloche des deux provinces, notamment avec des restrictions de manifester, des médias sous contrôle et une justice aux ordres des militaires. Mais pour l’heure, aucune disposition spéciale n’a été annoncée.

Des offensives militaires contre-productives

Après plus d’un an d’échec dans la lutte contre les groupes armés, Félix Tshisekedi cherche donc de nouvelles marges de manoeuvre pour éradiquer la violence à l’Est. Les opérations militaires d’envergure lancées en 2019 pour neutraliser les ADF dans la région de Beni avaient tourné au fiasco. Si quelques positions rebelles avaient été reprises par les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), les opérations militaires avaient eu pour principal effet de disperser les ADF sur une zone encore plus étendue, sans compter les représailles qui s’étaient sont multipliées contre les civils.

Des militaires français déjà présents?

Mais aujourd’hui, les planètes semblent s’aligner pour Félix Tshisekedi afin de booster sa politique sécuritaire. Il y a tout d’abord la présidence de l’Union africaine qui confère au chef de l’Etat congolais un poids politique plus fort dans la région. Il y a ensuite la reconnaissance par les Etats-unis de l’allégeance des ADF à l’Etat islamique, qui permet à la RDC de sonner le tocsin et d’appeler la communauté internationale à la rescousse. Enfin, il y a cette visite en France, où le volet sécuritaire a été abordé avec le président Macron. Deux sources nous indiquent que cinq « éléments » de l’armée française se trouvaient récemment sur zone à Beni. Du côté de la Monusco, accusée régulièrement de passivité, l’heure est aussi à l’offensive. Une unité kényane et népalaise vont prochainement venir renforcer la Brigade d’intervention rapide des casques bleus (FIB). En 2013, cette unité avait participé activement à défaire la rébellion du M23 au Nord-Kivu. Depuis, elle apparaissait largement sous-dimensionnée.

« Une mesure cosmétique »

Les mesures annoncées par le président Tshisekedi laissent pourtant sceptique le mouvement citoyen Lucha. Habitués aux effets d’annonce sur le retour de la paix à l’Est depuis Joseph Kabila jusqu’à Félix Tshisekedi, les Congolais se lassent de voir Kinshasa impuissant face aux groupes armés. La Lucha redoute que l’ »Etat de siège » « ne soit qu’une mesure cosmétique destinée à donner l’impression qu’on agit pour mettre fin aux massacres alors qu’en réalité, on maintient le statu quo ». Pour éviter le surplace, Félix Tshisekedi devra prendre des mesures fortes pour éradiquer les groupes armés. A commencer par faire le ménage dans l’armée congolaise et relever de leur fonction les officiers « affairistes ou criminels ». Il faudra aussi punir ceux qui détournent la solde des militaires, et donner des moyens financiers à une armée qui reste sous-équipée. Le Premier ministre a également avancé une première piste dans son discours-programme : la non-réintégration des rebelles dans l’armée.

Afficher un bilan présentable

Politiquement, Félix Tshisekedi n’a pas le droit à l’erreur sur le volet sécuritaire de son premier mandat. Il le sait d’autant plus qu’avec un budget des plus restreints (36 petits milliards de dollars) il ne pourra pas changer en deux ans la vie des Congolais. Moderniser l’éducation, la santé, les infrastructures, l’accès à l’eau ou à l’électricité… sont des chantiers titanesques qui demanderont beaucoup de moyens et de temps. Pour afficher un bilan présentable à la population avant les élections de 2023, Félix Tshisekedi doit donc mettre le paquet sur la sécurité.

Une obligation de résultats

Diplomatiquement, Félix Tshisekedi est sur un petit nuage. Président de l’Union africaine, il peut avoir les oreilles attentives des pays voisins de la région, mais aussi des Etats-Unis, omniprésents sur le front sécuritaire depuis que Washington semble prendre au sérieux la menace des ADF. Paris est également monté au créneau sur le sujet, et Félix Tshisekedi compte bien utiliser toutes ces cartes pour combattre les groupes armés. Ce soutien international sera d’autant plus utile pour restructurer l’armée congolaise et « déboulonner » ce qui reste de kabilie au sein de la chaîne de commandement. Si la fenêtre de tir semble idéale pour le président congolais, reste à savoir si les résultats seront au bout du chemin. A deux ans de la présidentielle, Félix Tshisekedi n’a plus vraiment le choix.

Christophe Rigaud – Afrikarabia