Egypte : Abdel Fattah Al-Sissi, un général imprévisible au sommet du pouvoir

Nommé par le président islamiste Mohamed Morsi, il a pris le pouvoir début juillet et a fait réprimer les manifestations des Frères musulmans. VIDEO. Qui est vraiment le général égyptien Al-Sisi et que prépare-t-il face aux Frères musulmans ? Portrait.général sissi

Il est le nouvel homme fort de l’Egypte. Le général Abdel Fattah Al-Sissi, chef des armées et ministre de la Défense, est celui qui a mis en place le gouvernement de transition après avoir destitué Mohamed Morsi en juillet. C’est sous sa direction que les forces de l’ordre sont intervenues, mercredi 14 août, pour réprimer dans le sang les pro-Morsi. L’avenir du pays, menacé de guerre civile, est entre ses mains. Qu’en fera-t-il ? Il est difficile de le dire, tant l’homme semble imprévisible. Portrait.

Un fervent musulman désigné par Morsi

Cela semble inconcevable aujourd’hui, mais c’est Mohamed Morsi, président islamiste élu démocratiquement en juin 2012, qui a fait passer le général Abdel Fattah Al-Sissi de l’ombre à la lumière, en le désignant ministre de la Défense et commandant en chef de l’armée. Morsi pense alors faire « un bon choix », raconte La Croix : « Sissi a une réputation de grande piété, une vision conservatrice de l’islam, et sa femme est voilée. » De plus, « l’un des cousins de son père, Abbas Al-Sissi, a été en son temps une grande figure de la confrérie [des Frères musulmans]. »

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Le président égyptien Mohamed Morsi et le chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Sissi.En 2012, Morsi le nomme président du Conseil suprême des forces armées et ministre de la Défense

Tout laissait donc croire que le pieux général de 58 ans allait être celui qui rendrait l’armée plus proche des islamistes. Juste après la chute de Moubarak, il avait créé la polémique en défendant les tests de virginité pratiqués par les militaires sur les manifestantes arrêtées.

Au moment de sa nomination, certaines rumeurs ont même laissé entendre qu’il était une taupe islamiste au sein de l’armée. Au début de son mandat, « il surprit certains en ouvrant les portes des écoles militaires aux islamistes – ce qu’avaient banni les régimes antérieurs, farouchement hostiles aux intégristes », rappelle Le Figaro.

L’artisan du coup d’Etat du 3 juillet

Quelques mois après sa nomination, les événements prennent cependant une tournure imprévue. En novembre 2012, le président Morsi décide de modifier la Constitution pour s’attribuer les pleins pouvoirs. C’est un tollé dans la population, et le pays est secoué de manifestations monstres. Abdel Fattah Al-Sissi tente alors d’organiser une table ronde entre l’opposition et le pouvoir. Mais Morsi s’y refuse au dernier moment. « Pour le général Sissi, c’est un affront personnel, qui marque aussi la volonté de la confrérie de marginaliser l’armée », relate La Croix.abdel-coup d'etat

Ces événements marquent le début d’une opposition avec le pouvoir, qui aboutira à la décision de l’armée, le 1er juillet, de donner un ultimatum au président : 48 heures pour « satisfaire les revendications du peuple ». Le soir même de cette annonce, le général Abdel Fattah Al-Sissi envoie des hélicoptères militaires déployant le drapeau national au-dessus du Caire, en signe de soutien aux manifestants. Puis, deux jours plus tard, on le voit  s’exprimer à la télévision. Sans laisser apparaître une émotion, il annonce la suspension de la Constitution, la destitution de Mohamed Morsi et déplie la feuille de route préparée par l’armée pour sortir de la crise. Abdel Fattah Al-Sissi devient l’homme fort de l’Egypte après un coup d’Etat qui ne dit pas son nom. Il nomme une personnalité de son choix, le juge Adly Mansour, à la présidence, pour installer un gouvernement de transition.

Le commanditaire de la répression, admirateur de Nasser

Les Frères musulmans n’acceptent pas cette prise de pouvoir et, le 14 août, le divorce est définitivement acté. Abdel Fattah Al-Sissi ordonne la dispersion des camps pro-Morsi au Caire. La répression menée par son armée fait des centaines de morts. S’il continue d’être perçu par de nombreux Egyptiens comme « l’homme providentiel » selon Libération, son comportement commence à susciter de nombreuses interrogations à l’étranger. « Le personnage est extrêmement versatile », confie une source officielle française au JDD. « Qui peut assurer que cet homme-là redonnera un jour le pouvoir aux civils ? », s’interroge Alexandra Schwartzbrod dans Libération.egypt-massacre

Le doute plane surtout sur son positionnement vis-à-vis des Etats-Unis, le pays le plus à même d’infléchir la politique égyptienne pour éviter la guerre civile. « Vous avez tourné le dos aux Egyptiens, ils ne l’oublieront pas », a lâché Sissi à l’encontre des Américains dans une rare interview au Washington Post (lien en anglais), après la destitution de Mohamed Morsi. Selon le site israélien DebkaFiles, cité par le JDD, il a refusé de prendre au téléphone le président Obama mercredi 14 août au soir. Formé dans une académie militaire britannique avant de rejoindre, comme de nombreux officiers égyptiens, l’Ecole de guerre américaine en 2006, le général Al-Sissi reste un fervent admirateur de la période des officiers libres et de leur chef, Gamal Abdel Nasser (qui a dirigé le pays de 1954 à 1970).

Plus inquiétant encore, comme l’explique France24, des écrits publiés par Al-Sissi en 2006 ont pris un nouvel écho : les autocrates de la région ont des « raisons valables » de se méfier « d’un contrôle de leur régime par le vote populaire », avançait-il dans l’introduction d’une réflexion sur « La Démocratie et le Moyen-Orient ».

Egypte : trois scénarios pour l’avenir encore incertain

Dictature militaire, transition vers la démocratie ou guerre civile : le futur du pays, encore incertain, devrait se dessiner dans une de ces voies. Explications.Egypte-violence

La phase de violence inégalée qui frappe l’Egypte fait craindre une chute dans la spirale infernale. Depuis que les forces de l’ordre ont ouvert le feu sur les pro-Morsi, mercredi 14 août, au moins 830 personnes sont décédées dans des affrontements sanglants. Les Frères musulmans ont annoncé, dimanche, qu’ils renonçaient à certaines manifestations. Mais est-ce vraiment le début de l’apaisement ? Ou s’agit-il d’une simple trêve avant de violentes représailles ? Voici les trois scénarios, radicalement différents, qui se dessinent pour l’avenir de l’Egypte.

1 L’armée assoit son pouvoir et ne le lâche plus

Après avoir destitué Mohamed Morsi, l’armée, déjà très puissante en Egypte, s’est imposée à la tête de la transition. La nomination du libéral Mohamed El-Baradei à la vice-présidence permettait de contrebalancer son poids. Mais avec la démission de ce dernier, mercredi 14 août, après la violente journée de répression, le pouvoir semble de plus en plus monopolisé par les militaires. L’armée est censée préparer de nouvelles élections libres, pour laisser le pouvoir à un dirigeant élu démocratiquement. Mais est-elle vraiment prête à le faire ?

Certains en doutent et affirment qu’une dictature militaire est déjà en marche. Shadi Hamid, directeur de chercheur au Brookings Doha Center, au Qatar, interrogé par Le Temps, explique : « Le chef de l’armée, le général Al-Sissi, est l’homme le plus puissant du pays. Le gouvernement a rétabli la loi martiale et un couvre-feu, il autorise la police à tirer sur les civils. L’armée a placé des généraux et des policiers à la tête de 19 des 25 gouvernorats égyptiens. » Dans le journal Libération, Alexandra Schwartzbrod s’interroge : « Qui peut assurer que cet homme-là redonnera un jour le pouvoir aux civils ? »

2 Une transition pacifique vers un régime démocratique

Malgré les doutes qui pèsent sur ses réelles intentions, l’armée continue de se montrer rassurante concernant la transition démocratique. Le gouvernement qu’elle a mis en place assure que les Frères musulmans pourront participer aux élections prévues début 2014. Hazem El-Beblaoui, le Premier ministre (sans étiquette) de transition, a toutefois précisé qu’aucune réconciliation ne serait possible avec ceux qui ont « du sang sur les mains ». Il a même proposé de dissoudre la confrérie des Frères musulmans, mais le vice-Premier ministre, le libéral Ziad Bahaa El-Din, s’y oppose, explique France Inter.

Il y a de « la place pour tous en Egypte », a certifié, dimanche, le général Abdel Fattah Al-Sissi. La réconciliation reste donc envisageable. Elle pourrait être encouragée par les Etats-Unis, s’ils appellent fermement à une transition démocratique. « A moyen terme, et sous la pression américaine, un processus politique supervisé par l’armée se mettra probablement en place pour déboucher sur une démocratie agitée », estime un journaliste du Washington Post, dans un article traduit par Courrier International.

3 Le pays s’enfonce dans la guerre civile

C’est le scénario le plus redouté, mais aussi le plus souvent évoqué. L’Egypte, coupée en deux entre les Frères Musulmans et l’armée, pourrait sombrer dans la guerre civile. « Si les Frères et leurs alliés ne parviennent plus à mobiliser, ils risquent de s’orienter vers d’autres moyens d’action, potentiellement violents », explique le correspondant de Libération (article payant) au Caire.

Après les événements violents de la semaine dernière, « il va être extrêmement difficile de revenir en arrière », avance la chercheuse Tamara Wittes auprès de la radio américaine NPR. Selon elle, un compromis politique sera difficile à trouver entre l’armée, à présent engagée dans la répression, et les Frères musulmans, qui estiment que leurs craintes et leur méfiance vis-à-vis de l’armée étaient justifiées. « Beaucoup d’éléments sont réunis pour que l’Egypte glisse vers la guerre civile », conclut la journaliste du Monde Hélène Sallon.

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