Coup de théâtre en RDC: «Pas d’élections le 20 décembre: la Cour constitutionnelle va annoncer le report»

Coup de théâtre en RDC: «Pas d’élections le 20 décembre: la Cour constitutionnelle va annoncer le report»

Le scrutin en République démocratique du Congo n’aura pas lieu le 20 décembre. ”À dix jours du scrutin, c’est impossible”, tranche, explicite, Bob Kabamba, politologue, professeur à l’université de Liège. ”Bob Kabamba est catégorique. Deux scénarios se détachent pour ce coup de théâtre qui va faire beaucoup de mécontents.

Le président Tshisekedi et le président de la Ceni n’ont cessé de marteler que le scrutin aurait lieu coûte que coûte le 20 décembre. Difficile dans ce contexte d’annoncer le contraire”, explique le politologue, qui enchaîne : “C’est la Ceni qui est maître du calendrier mais son président serait bien content si quelqu’un d’autre pouvait annoncer ce report.”

Deux scénarios sont sur la table, ils mettent en scène la Cour constitutionnelle, majoritairement composée de proches du pouvoir. Le président de cette Cour, Dieudonné Kamuleta Badibanga, dont le nom est apparu dans le dossier de l’assassinat de Chérubin Okende, devrait annoncer cette semaine le report du scrutin. “Soit il se base sur une requête de la Ceni, soit, c’est la piste qui me semble la plus plausible, il annonce ce report sur base de la plainte déposée devant la cour par certains candidats comme Martin Fayulu ou Théodore Ngoy, pour récuser le processus électoral. Ce dossier est inscrit au rôle cette semaine.”

Nombre d’observateurs soulignaient lors du dépôt de cette requête, qu’elle était susceptible de mettre en danger le scrutin. « En répondant favorablement à cette requête, la cour fait le jeu du pouvoir qui se dédouane de ce report et peut l’imputer à une démarche de l’opposition”, poursuit Bob Kabamba. Il faudrait dès lors revoir tout le processus “avec un nouveau fichier électoral, voire une nouvelle Cour constitutionnelle et un nouveau président de la Ceni”, selon le politologue.

Une transition avec qui ?

Si report, la question se pose sur la gestion de la transition qui devra mener vers ce nouveau scrutin. Le mandat du président Félix Tshisekedi se termine le 24 janvier 2024. Selon la Constitution, en cas d’incapacité, c’est le président du Sénat qui doit gérer cette transition et préparer les nouvelles élections. Certaines voix se sont déjà fait entendre suggérant que l’actuel président du Sénat, Modeste Bahati, qui mène campagne pour Tshisekedi, ne serait pas l’homme de la situation. Le nom du prix Nobel de la paix Denis Mukwege revient alors. “Impossible, tranche Bob Kabamba. Mukwege est candidat à la présidentielle, il ne peut gérer la transition.”

On se souvient qu’en 2016, Joseph Kabila avait obtenu deux ans de pouvoir supplémentaire pour organiser le scrutin finalement en décembre 2018. “La situation est très différente. Même si Kabila n’était pas en odeur de sainteté, il n’y avait pas un fort courant d’hostilité pour s’opposer à ce qu’il reste au pouvoir deux ans de plus. Ici, avec Tshisekedi, l’opposition a déjà martelé que ce serait sans lui. Les débats s’annoncent houleux mais dans la région, cette piste d’une transition sans Tshisekedi commence à prendre de l’ampleur”, poursuit Bob Kabamba. De l’Ouganda à l’Angola en passant par le Congo-Brazzaville, la mégestion du processus électoral et les conséquences d’une vague de mécontentement en RDC poussent les responsables à tenter de s’accorder sur un scénario du “moins pire”. La piste du retrait de Tshisekedi semble prendre de l’ampleur dans ces capitales. “Le président Tshisekedi ne doit pas compter sur le soutien des pays frontaliers”, explique un ministre d’un État voisin qui pointe “l’incapacité de ce Monsieur à ramener la paix dans son pays. Tshisekedi et son entourage sont un risque majeur pour toute la région”.

Grogne politique

”Ce report va susciter la colère de nombreux candidats, que ce soit à la présidentielle ou à la législative. Certains ont vendu leur maison pour payer leur campagne électorale. Ils n’auront pas les moyens d’en mener une seconde. Il y a des tensions au sein de la plateforme de la majorité, où l’argent promis par la présidence pour financer les campagnes n’est jamais arrivé. Même les pontes sont très fâchés. S’il y a un report, il faut parier que beaucoup de candidats rejoindront Katumbi”, conclut Bob Kabamba.

« Les élections n’auront pas lieu le 20 décembre: une transition devra mener vers un nouveau scrutin »

Pour le politologue Bob Kabamba, l’annonce du report devrait arriver cette semaine.

Dans la nuit du 8 au 9 décembre, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a annoncé l’arrivée à Kinshasa, depuis la Chine, des derniers containers de “documents sensibles” pour l’organisation du scrutin. Parmi ces documents, les PV qui doivent recueillir les résultats des votes, bureau par bureau lors du scrutin du 20 décembre. Au total, selon les chiffres de la Ceni, sur l’étendue de la République démocratique du Congo, ce sont 75 478 bureaux de vote qui attendent ces documents.

”À dix jours du scrutin, c’est impossible”, tranche, explicite, Bob Kabamba, politologue, professeur à l’université de Liège, rentré cette semaine d’un déplacement en RDC, notamment dans l’est du pays, toujours secoué par une guerre entre rebelles du M23, qui seraient soutenus par le Rwanda, et l’armée congolaise, “renforcée” par des mercenaires occidentaux, des wazalendos, des volontaires parmi lesquels de nombreux membres de milices criminelles congolaises, mais aussi, depuis peu, de militaires burundais envoyés dans le cadre d’un accord entre les présidents Tshisekedi et Ndayishimiye.

« La Cour constitutionnelle va annoncer ce report »

”Un patchwork impossible à gérer”, explique un spécialiste des questions militaires, régulièrement de passage à Goma, qui souligne l’impact que ce conflit sur les élections du 20 décembre. “Si les élections devaient avoir lieu, il est impossible de les organiser dans une grande partie des provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Certains n’ont déjà pas pu voter à la présidentielle de 2018. Comment voulez-vous que ces gens, plongés dans l’horreur depuis des années, se reconnaissent encore dans le pouvoir de Kinshasa, une ville située à plus de 1 500 kilomètres, qui ne parle pas la même langue et dont on ne perçoit ici que les flonflons des fêtes organisées par le pouvoir. L’accueil réservé aux candidats proches de la présidence de la République est significatif de ce sentiment de rejet de Kinshasa.”

Tshisekedi dans le dur face à Katumbi

La campagne électorale, entamée il y a vingt jours, a permis de se rendre compte des difficultés du pouvoir sortant. Dans le duel qui l’oppose à distance à son principal challenger Moïse Katumbi, le chef de l’État a pris conscience de la popularité de l’ancien gouverneur du Grand Katanga qui draine des dizaines de milliers de supporters à chacune de ses haltes quand lui, malgré les moyens de l’État, peine à mobiliser. Félix Tshisekedi, sans légitimité, sans bilan, mène ses meetings comme un outsider, tentant de mobiliser à coups de promesses après un premier quinquennat stérile. “Son seul argument fédérateur, c’est la guerre à l’est et la volonté d’en découdre avec le Rwanda, mais cela fait maintenant des mois qu’il fait ses promesses et que, sur le terrain, on ne fait que constater des défaites face au M23”, explique un membre de la société civile de l’Ituri qui insiste : “On meurt beaucoup ici. Les défaites militaires sont nombreuses. Des bataillons entiers de jeunes gens, mal équipés, mal commandés, ont été massacrés ces dernières semaines sans que le pouvoir de Kinshasa s’en soucie.”

Personne n’a oublié, à l’est, les promesses faites par Tshisekedi d’installer le QG de l’armée à Goma et de venir lui-même s’installer dans la région pour faire face à l’offensive du M23. “Comment voulez-vous que l’on croit encore cet homme, qui n’a tenu aucune de ses promesses, quand il revient pour nous demander nos voix”, poursuit un membre d’un mouvement citoyen installé dans la périphérie de Goma.

Goma, le chef-lieu du Nord-Kivu, une ville dont revient Bob Kabamba. “La tension y est énorme. Le M23 a repris son offensive suite au rôle joué par les FDLR dans les rangs de l’armée congolaise. Leur progression est systématique, ils sont aux portes de Goma. La ville aurait pu tomber bien avant mais le M23 ne voulait pas être utilisé pour justifier le report des élections par Tshisekedi”.

150 millions de bulletins

”À moins de dix jours du scrutin, avec ou sans M23, il est impossible de tenir le calendrier. Rien qu’en termes de bulletins de vote, c’est impossible. Pour les différents scrutins qui doivent se tenir, il faut au moins 150 millions de bulletins de vote à acheminer dans un pays qui fait plus de 80 fois la Belgique, sans infrastructure et, aujourd’hui, sans l’aide des Nations Unies, le tout en pleine saison des pluies”, explique encore Bob Kabamba. Plusieurs témoignages de candidats aux législatives recueillis dans tout le pays font état de routes inondées, de villes ou villages coupés du monde, de temps de trajet exceptionnellement long. “J’ai mis quinze heures pour faire 70 kilomètres à moto tant les routes sont inondées”, explique un candidat député du Kwilu. Dans le Nord-Kivu des notables ont été empêchés d’atteindre leur village, “même le ministre Vital Kamerhe et Denise Tshisekedi, la première dame, n’ont pu rentrer dans leur village à cause des routes inondées. Denis Kadima, le patron de la Ceni, demande de nouveaux moyens de transport, c’est une manière de se dédouaner. Il a compris depuis un certain temps qu’il ne pourra tenir le calendrier mais tout le monde jusqu’ici a continué à faire semblant, espérant qu’un prétexte surgirait pour justifier ce report”, poursuit Bob Kabamba.

(Avec La Libre Afrique)