Congolais de l’Est en exil forcé au Burundi

Fuyant des combats interethniques dans le Sud-Kivu et la guerre en cours dans le Nord-Kivu, des milliers de Congolais cherchent l’asile au Burundi voisin.

Kavumu rdc
Francine Mbilizi, réfugiée venue de Goma, enseigne aux élèves du camp de Kavumu.
RFI / Matthieu Millecamps

En 2012, alors que les camps du HCR étaient saturés, les autorités burundaises ont accepté la création d’un nouveau camp, dans la province de Cankuzo. Il peut accueillir 13 000 réfugiés venant s’ajouter aux 26 000 déjà présents sur le territoire. Un geste loin d’être anodin. Dans un contexte de pression foncière extrême et de surpopulation notoire, le Burundi a en effet dû faire face, ces dernières années, au retour d’un demi-million de Burundais, exilés principalement en Tanzanie.

Des pagnes finissent de sécher, alignés sur le fil tendu au milieu de la petite maison aux murs de terre séchée. Sur le sol en terre battue, une bâche de plastique portant le sigle du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) sert de tapis et quelques ustensiles de cuisine sont entassés dans un coin. La poussière est omniprésente, mais l’endroit est soigné, autant que faire se peut. Debout au milieu de la pièce, Lariziki Madjuma berce la petite Sifa, sa dernière née de sept enfants.

Lariziki Madjuma est originaire de la région de Goma. Elle avait 30 ans lorsque son mari a été tué. Trois ans plus tard, en octobre dernier, « ils sont revenus… Un groupe de rebelles. Ils portaient des masques. Je travaillais dans le champs quand ils m’ont attaquée… et violée. » Le lendemain, elle prend la route avec ses six enfants, vers Bukavu d’abord. Puis, après quelques mois, elle traverse la frontière et se rend à Bujumbura, où elle obtient le statut de réfugiée auprès de l’Onpra (office national burundais de protection des réfugiés et apatrides). La petite Sifa est née en juin, dans le camp de transit de Bujumbura, où Lariziki Madjuma attendait son transfert vers le camp de Kavumu.

Ils ne sont pour l’instant qu’un petit millier de Congolais aux histoires de vies brisées à avoir emprunté, comme elle, la piste cahotante qui traverse les collines de la province de Cankuzo, dans l’est du Burundi, pour poser leurs maigres bagages dans le nouveau camp de Kavumu. Depuis son ouverture effective, en avril dernier, les Congolais qui arrivent au Burundi pour fuir les conflits inter ethniques du Sud-Kivu et la guerre qui fait rage entre le M23 et les FARDC au Nord-Kivu sont envoyés ici, à Kavumu.

« Obligatoirement transféré au nouveau camp de Kavumu »

« Au Burundi, il y a actuellement 50 000 réfugiés recensés, toutes nationalités confondues. Mais ce sont les Congolais les plus nombreux », explique Jérôme Merlin, coordinateur de terrain du HCR. « Le HCR dispose de quatre camps au Burundi. Les trois autres camps (Bwagarisa dans la province voisine de Ruyigi, Musasa et Gasorwe dans la province du Muyinga, NDLR) sont saturés. Tout nouvel arrivant qui obtient le statut de réfugié au passage à l’Onpra à Bujumbura a deux options : soit il devient « réfugié urbain » et n’a donc accès qu’à très peu d’assistance, soit il opte pour le camp de réfugiés, où la prise en charge est globale. Dans ce cas, il est obligatoirement transféré au nouveau camp de Kavumu. »

Les trois autres camps, dont le premier a été ouvert en 2004, sont saturés, avec 26 000 réfugiés au total. Le camp de Kavumu, destiné à accueillir jusqu’à 13 000 réfugiés, devrait en compter près de 5 000 d’ici la fin 2013.

« Je connais Goma, je sais comment les gens meurent »

Vue générale du camp de Kavumu.RFI / Matthieu Millecamps
Vue générale du camp de Kavumu.RFI / Matthieu Millecamps

En 2012, le flux de réfugiés congolais arrivant au Burundi a atteint jusqu’à un millier de nouveaux arrivants par mois. Début 2013, cependant, les arrivées ont été moins nombreuses. Ils ne sont, pour le moment, plus « que » 200 à 300 à arriver chaque mois au camp de Kavumu.

Nsona Mampasi était dans les tout premiers convois, en avril. Se présentant comme « artiste, auteur dramatique et électricien », il parle un français châtié qui l’a conduit à devenir le « président temporaire » du comité des réfugiés. « Je ne voulais pas, au départ. Mais je parle français et swahili, et il n’y en avait pas beaucoup d’autres à ce moment-là », expose-t-il. En attendant que le camp compte suffisamment de personnes pour organiser une élection, c’est donc lui qui fait le lien entre les réfugiés d’un côté, et les ONG et institutions présentes sur le camp de l’autre. Il vient de Goma, où il travaillait pour un ancien colonel des FARDC passé au M23 après la prise de la ville par les rebelles, en novembre 2012. Au retour de l’armée, son ancien patron a pris la fuite, mais lui est resté. Un jour, il reçoit un SMS sans équivoque : « Si on ne te trouve pas, on tue ta femme et tes enfants ». « Je connais Goma, je sais comment les gens meurent », explique-t-il pour justifier son départ précipité.

Un rôle de facilitateur

Dans le camp de Kavumu, Nsona Mampasi est une sorte de maire. Ici, les réfugiés se voient confier à leur arrivée les matériaux nécessaires à la construction de leur habitation. La COPED, l’organisation chargée des infrastructures dans l’ensemble des camps burundais, fournit bois, cordages et argile pour la confection de petites maisons destinées à accueillir jusqu’à deux familles. Cent trente maisonnettes hébergent déjà des familles et 52 autres sont en construction dans ce qui ressemblerait à n’importe quel autre village récemment sorti de terre si ce n’était les latrines, estampillées aux couleurs du HCR. Un ingénieur de la COPED est certes présent sur le chantier pour s’assurer du respect des plans par ces réfugiés devenus maçons, mais lorsque certains manquent de matériaux, c’est à Nsona Mampasi qu’ils viennent se plaindre. Même chose pour les récriminations concernant les rations de nourriture distribuées chaque mois.

Nsona Mampasi prend à cœur son rôle de facilitateur. Tantôt il réprimande les réfugiés pour ne pas avoir su gérer leurs stocks, tantôt il se présente devant les autorités du camp pour porter les doléances. Il se fait aussi le porteur des messages qu’entendent passer les organisations. « La portion qu’on nous distribue ici, c’est la même que partout dans le monde. C’est comme ça, on ne peut pas changer ça », explique-t-il. Le comité des réfugiés a cependant obtenu que les travailleurs affectés à la construction des bureaux et du centre de santé – les seuls bâtiments « en dur » du camp – soient pour moitié des réfugiés. « Un moyen pour certains de se faire un peu d’argent et d’améliorer l’ordinaire. » Mais sa vraie fierté, c’est de « faire souvent l’encadrement des enfants : je leur montre comment faire du théâtre, danser, faire de la mise en scène… »

Plus de la moitié des habitants du camp sont des enfants (ils sont 505, dont 420 sont âgés de moins de 12 ans, selon les chiffres de fin juin 2013). Sur le chantier de l’école également, la moitié des manœuvres sont réfugiés, quand l’autre est recrutée dans la population des alentours.

Un moyen, aussi, d’assurer la « coexistence pacifique » entre les nouveaux arrivants et les habitants historiques. Les enseignants, par contre, sont tous des réfugiés congolais. « Pour le moment, il s’agit d’encadrer les enfants pour éviter qu’ils ne vaquent dans le camp sans rien faire », explique Théophile Ntambuko, l’un des réfugiés enseignants de l’école, qui précise que sa mission est aussi « d’évaluer leur niveau, et d’être prêt à assurer la rentrée en septembre ». « Mais ce n’est pas facile, parce qu’il y a plein d’origines différentes, des comportements et des habitudes différentes », affirme Francine Mbilizi, qui enseigne depuis un mois dans l’une des classes déjà terminées.

« Ici, nous sommes tous congolais »

« Ici, on ne parle pas d’ethnie, on dit ‘mutualités’, précise Thomas Hagura, l’administrateur adjoint du camp pour l’Onpra. Nous avons de nombreux Banyamulenge, des Bafurero, des Barundi du Congo, et quelques Maï-Maï»

« La majorité des Congolais qui sont réfugiés ici, au Burundi, surtout depuis ces dernières années, sont arrivés suite aux tensions inter ethniques entre Barundi et Bafurero. Il y a également quelques Maï-Maï qui s’alignent sur les positions des Bafurero », expose Abdoulaye Barry, représentant adjoint du HCR à Bujumbura.

« Ici, nous sommes tous Congolais, nous sommes tous mélangés, c’est normal », pose d’une voix douce Pérouse Nyankema, une Banyamulenge de 45 ans croisée lors de la distribution de bois par Caritas Burundi sur le camp. Cette mère de six enfants a dû fuir son village de la région de Minembwe, au Sud-Kivu, suite à une attaque menée par des Maï-Maï. « Ils sont arrivés pendant la nuit. Ils étaient déjà venus avant, pour voler nos vaches, nous prendre tout… Mais quand ils sont revenus pour attaquer la maison, nous avons fui, mon mari d’un côté, moi et mes enfants de l’autre », raconte-t-elle.

« Je ne sais pas où il est »

De sa fuite éperdue en pleine nuit, elle n’a que de vagues souvenirs : « On a marché toute la nuit, et puis le lendemain aussi. On habitait un endroit où il n’y a pas beaucoup de localités. On a marché deux jours avant de rejoindre une ville. » Elle y a perdu son téléphone portable, et avec lui le numéro de son mari. « Je ne sais pas s’il est encore vivant. Je ne sais pas où il est », glisse-t-elle, en s’excusant presque.

Abdoulaye Barry, le représentant adjoint du HCR au Burundi, estime que les combats qui ont repris dimanche 14 juillet autour de Goma entre le M23 et les FARDC, soutenues par la brigade d’intervention, ne devraient pas avoir d’incidence directe sur le flux de réfugiés congolais arrivant au Burundi. « Goma est loin. Mais si les combats venaient à se déporter dans le Sud-Kivu, nous serions dans une situation difficile. »

Par RFI