Congo-Kinshasa : Un «Etat invisible»!

Dans un article publié dans l’édition en ligne, datée du 24 juin, du très influent magazine américain «Foreign Policy» (F.P), les politologues américains Jeffrey Herbst et Greg Mills décrivent le Congo-Kinshasa de ces dix-sept dernières années comme un «Etat invisible».

Joseph Kabila.trUn Etat qui patauge dans une «anarchie généralisée» faite de régression sociale, de violence et de corruption. Selon les deux auteurs, cette situation perdure parce qu’elle profite à des acteurs tant internes qu’externes. Ils regrettent que le reste du monde continue à aider cet «Etat failli» au lieu d’envisager des alternatives dont la division du pays en plusieurs entités. Ils déplorent par ailleurs le désintérêt de Washington face au désordre qui règne au Congo. Pour eux, la « communauté internationale » commet l’erreur de persister à croire que le Congo existe encore en tant qu’Etat. Nous reproduisons ci-après quelques « idées générales » de cette tribune.

«La communauté internationale doit reconnaître une réalité simple mais brutale : La République démocratique du Congo n’existe pas! (…). Il est temps d’arrêter de prétendre le contraire». C’est par ces mots assassins que les analystes américains commencent leur «papier». Et de rappeler qu’il y a quatre ans, ils défendaient cette même thèse dans la même publication : www.foreignpolicy.com.

Régression sociale

Pour étayer ce point de vue, ils notent, en liminaire, que dix-sept années après la chute du président Mobutu Sese Seko, rien n’a changé dans l’ex-Zaïre. «Le Congo n’est pas un Etat en faillite, c’est un non-Etat, sans cesse en guerre», écrivent-ils avant d’égrener tous les maux dont souffre le pays : violence, massacre, viol, régression sociale (186e à égalité avec le Niger sur l’indice de développement humain des Nations Unies ; 229e sur 229 dans le PIB par habitant, derrière même la Somalie et Sud-Soudan). Herbst et Mills épinglent également la corruption en relevant que celle-ci vaut au pays d’être classé 160e sur 176 sur l’Indice de perception de Transparency International et 171e sur 177 pays sur l’Indice de liberté économique de la Heritage Foundation. A en croire ces deux politologues, s’il y avait un « Prix » à attribuer au «pire endroit» sur terre, le Congo-Kinshasa en serait sans aucun doute le lauréat.

Après ce constat, Jeffrey Herbst et Greg Mills de fustiger la complaisance qu’affiche, selon eux, la communauté internationale à l’égard du gouvernement en place, en dépit de cet «échec patent». Pour eux, la communauté internationale préfère fermer les yeux face à la corruption ambiante tout en évitant d’envisager «une alternative». Depuis l’an 2000, assurent-ils, le Congo-Kinshasa a reçu une aide internationale estimée à 27 milliards de dollars au titre d’aide au développement.

«Le mythe de l’Eta congolais »

Pour eux, «le mythe de l’Etat congolais» persiste à cause de quelques faits. Primo : les dirigeants africains ont en horreur toute remise en cause de la souveraineté de l’État, étant donné que beaucoup d’entre eux n’ont pas le plein contrôle de leurs propres territoires. Secundo : La communauté internationale qui aurait dû initier une réflexion à une solution réelle au Congo, reste passive. Et de relever au passage que malgré toutes les indignations suscitées par « la guerre horrible, la violence systématique contre les femmes, et l’instabilité régionale », le Congo suscite à peine l’attention des responsables politiques à Washington. Ceux-ci sont, en revanche, plus attentifs à la situation au Moyen-Orient ou au Kosovo. Pour Herbst et Mills, il y a enfin, «un grand nombre de personnes à l’intérieur et à l’extérieur du Congo qui profitent énormément» de l’anarchie actuelle via le trafic et la contrebande. Ces personnes, non autrement identifiées, ont, selon eux, «un intérêt profond» à ce que ce pays soit maintenu dans le chaos actuel.

Pour les deux analystes, le gouvernement congolais n’exerce aucun pouvoir «en dehors des zones urbaines». Ils citent, à l’appui, le cas des rebelles du M23 qui contrôlent une partie de la province du Nord Kivu. Ce mouvement avait occupé la ville de Goma en novembre 2012. Au Katanga, les combattants Maï Maï Ba kata Katanga ont fait irruption, le 23 mars dernier, à Lubumbashi et se sont affrontés avec les forces gouvernementales avant de se rendre. «L’attaque a secoué beaucoup car il a réveillé les vieilles craintes que la province allait essayer de faire sécession » comme en 1960. Ils citent, par ailleurs, d’autres zones de non-droit. C’est le cas notamment des localités contrôlées par les «Maï-Maï Morgan» dans la Province Orientale et celles occupées au Nord-Kivu et au Sud Kivu par les «Maï-Maï Raia Mutomboki». «Mais la politique américaine envers le Congo semble ignorer cette anarchie généralisée», soulignent-ils. Et d’ajouter : «Pourtant, toujours déterminé à essayer de préserver Congo, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé une forte brigade d’intervention avec un mandat offensif sans précédent pour lutter contre les rebelles dans l’est du Congo». Pour eux, les trois mille hommes restent peu nombreux pour pacifier le vaste territoire congolais.

La théorie de Walter Kansteiner 

Que propose les deux universitaires américains ? Pour eux, la communauté internationale doit prendre conscience qu’elle fait fausse route en essayant d’aider le gouvernement congolais. Tout en reconnaissant qu’il n’y a pas de solutions prêt-à-porter, ils notent qu’il n’y a pas encore de «consensus fort» autour de l’idée d’examiner d’autres « alternatives » au gouvernement actuel. Comme l’ancien sous-secrétaire d’Etat aux Affaires africaines, Walter Kansteiner, les deux auteurs lancent une théorie bien connue d’un Congo ingouvernable parce que trop vaste. Il faut donc découper le territoire actuel en plusieurs Etats. Et ce, à défaut, de promouvoir un pouvoir décentralisé au niveau des provinces.

L’article de Jeffrey Herbst et Greg Mills est sans doute interpellant. N’empêche. Les Congolais n’ont pas attendu ce «papier» pour réaliser que leur pays souffre d’un déficit de leadership ou d’un appareil d’Etat réellement au service de l’intérêt général. Ils savent que cette situation menace gravement non seulement la cohésion nationale mais aussi la survie du pays en tant qu’Etat.

Que faire ? 

Il faut être naïf pour espérer une alternance démocratique dans l’ex-Zaïre. A preuve, « Joseph Kabila» fait à peine mystère de sa volonté de rempiler en 2016 alors que l’article 70 de la Constitution limite le nombre de mandat présidentiel à deux. L’homme entend recourir à la corruption ainsi qu’à l’appareil sécuritaire pour rester Calife à la place du Calife.

Il est clair que les «libérateurs» du 17 mai 1997 considèrent le pouvoir d’Etat comme un «butin de guerre». Un butin qu’ils ont conquis, disait « Joseph Kabila », «les armes à la main en prenant des risques pour leurs vies». Tout changement démocratique paraît, dès lors, exclu. Tout Changement dépendra de la capacité des Congolais à s’affranchir de la peur pour mettre hors d’état de nuire – et pourquoi pas les armes à la main ? – les pseudo-libérateurs qui ont pris le Congo-Kinshasa et les 70 millions de Congolais en otage. Il n’y a pas trente-six manières pour redonner au Congo sa « visibilité » en tant qu’Etat.

A force de se complaire dans une attitude d’«observateur passif» de la descente aux enfers de leur pays, les Congolais donnent implicitement à d’autres nations le droit de façonner leur destin en leur lieu et place.

Jeffrey Herbst est actuellement le président de Colgate University aux Etats-Unis. Greg Mills dirige la Fondation Brenthurst dont le siège se trouve à Johannesburg en Afrique du Sud. Il a travaillé de 1996 à 2005 en qualité de directeur de l’Institut sud africain des Affaires internationales.

Baudouin Amba Wetshi
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