Des milliers de Vénézuéliens ont fait la queue durant des heures pour voir la dépouille mortelle du président. Comme aux grandes heures du chavisme, une marée rouge a investi les rues de Caracas. La foule, émue, a ressorti les T-shirts, les consignes révolutionnaires et les photos à l’effigie du Comandante accumulées en quatorze ans de pouvoir et d’incessantes campagnes électorales.
Cette fois, c’est pour rendre un dernier hommage au président défunt que ses partisans affluent. Depuis le matin, jeudi, la file d’attente qui mène à l’École militaire, où est veillée la dépouille mortelle du président, ne cesse de s’allonger sous le soleil. Après les honneurs rendus par les chefs d’État, les ministres et tous les officiels, ce sont de simples citoyens, venus parfois de l’autre bout du pays, qui défilent en silence.
Personne n’a l’air de redouter les longues heures d’attente nécessaires pour accéder à la chapelle ardente. Plus de 7 kilomètres d’une queue compacte. Dix, douze heures ou peut-être encore toute une nuit à patienter, pour un bref passage devant le cercueil drapé aux couleurs nationales. «Il le mérite», dit une mère de famille. «J’ai une fille docteur, une autre ingénieur. C’est grâce à Chavez qu’elles ont pu faire des études supérieures», un luxe autrefois réservé aux plus riches.
Le corps de Chavez sera embaumé, «comme Lénine», pour l’éternité
Le corps d’Hugo Chavez sera embaumé et exposé dans un cercueil de cristal. « Pour que le peuple vénézuélien puisse l’avoir avec lui pour l’éternité », a précisé le vice-président, Nicolas Maduro. Dans un premier temps, sa dépouille mortelle sera veillée en chapelle ardente pendant « au moins sept jours » à la caserne de la Montaña (la « montagne »), dans le quartier populaire 23 de Enero.
De source officielle, trente-deux chefs d’Etat et de gouvernement étaient attendus pour les funérailles.
La dépouille du président Hugo Chavez, dont les funérailles d’Etat auront lieu vendredi, sera visible «au moins sept jours de plus» puis «embaumé» pour l’éternité, a annoncé jeudi le président vénézuélien par interim, Nicolas Maduro.
Après les funérailles, son corps sera exposé au public à l’intérieur d’une ancienne caserne militaire de Caracas, a précisé M. Maduro à la télévision, «afin que tout le monde puisse le voir».
Le corps du défunt président «sera embaumé comme Hô Chi Minh, comme Lénine, comme Mao Tsé-toung», a également annoncé M. Maduro.
Il a expliqué qu’après les funérailles, auxquelles participeront au moins 33 chefs d’Etat, le corps de M. Chavez serait «dans un premier temps exposé à la Caserne de la Montagne», à l’ouest de Caracas.
C’est de cette enceinte militaire que Chavez avait lancé son coup d’Etat avorté en 1992, avant d’être élu pour la première fois à la présidence en 1998.
«Ce sera son premier lieu de repos», a ajouté M. Maduro. De son vivant, Hugo Chavez avait décidé de transformer cette caserne «en musée de la Révolution bolivarienne», actuellement en cours de construction.
«Il a été décidé de préparer le corps du Comandante, de l’embaumer, pour qu’il reste visible éternellement, pour que le peuple puisse l’avoir avec lui dans son musée de la Révolution», a dit le président par interim.
Adieu Commandante
À ses côtés, Isabel, les yeux mouillés, tient fermement sa petite fille en robe de princesse rouge, une décalcomanie de Chavez sur la joue. «Ça faisait longtemps qu’elle voulait le remercier. Chavez lui a donné un ordinateur Canaima», une production nationale distribuée aux enfants des classes populaires. La gamine acquiesce gravement. Dans la file, la plupart des Vénézuéliens venus saluer une dernière fois l’imposant président lui clament leur reconnaissance. Certains parce qu’il leur a donné un appartement. D’autres, des études, des médicaments. Ou la simple sensation d’être pris en compte, dans un pays miné depuis des décennies par des inégalités criantes.
«Ils ne reviendront pas! Ils ne reviendront pas!» scande brusquement un groupe de militants. Les classes dirigeantes traditionnelles, réunies au sein de l’opposition derrière Henrique Capriles, ont une nouvelle fois été défaites par Chavez lors des dernières élections, fin 2012. Depuis 1998, il a remporté tous les scrutins. Qu’adviendra-t-il après sa mort? Le caudillo n’est pas encore enterré qu’une consigne parcourt déjà la foule: voter dans trente jours pour Nicolas Maduro, héritier désigné par le Comandante. «Nous gagnerons contre l’opposition avec encore plus d’écart qu’avant. Car aujourd’hui notre ferveur pour Hugo Chavez est encore plus forte!» exulte un partisan.
Certains réclament que son corps repose au Panthéon national, aux côtés du Libertador, Simon Bolivar, tant adulé par Chavez de son vivant. Des députés proposent d’organiser un référendum «pour que le peuple se prononce sur la sépulture à donner au président». La foule le compare à présent au Che Guevara et lui lance des «Hasta siempre, comandante». Le nouveau mythe de la gauche latino-américaine est en train de naître.
L’ancien vice-président Nicolas Maduro, désigné par Chavez comme son dauphin, a d’ores et déjà fait sensation jeudi, en annonçant qu’il serait «embaumé» comme les grands révolutionnaires du XXe siècle, Lénine, Hô Chi Minh et Mao Tsé-toung, et que son corps serait «visible au moins sept jours de plus».
Caracas enterre Hugo Chavez et investit Nicolas Maduro
Le vice-président du Venezuela, Nicolas Maduro, a prêté serment vendredi 8 mars, dans la soirée, devant l’Assemblée nationale, comme président de la République par intérim, jusqu’à la convocation d’une nouvelle élection présidentielle.
« Je jure au nom de la plus totale loyauté au commandant Hugo Chavez que nous respecterons, que nous ferons respecter la Constitution bolivarienne (…) Je le jure ! », a déclaré M. Maduro au cours d’une cérémonie retransmise par les télévisions du pays.
M. Maduro a prêté serment devant le président de l’Assemblée nationale et numéro 2 du Parti socialiste au pouvoir, Diosdado Cabello. Etaient également présents des ambassadeurs étrangers ainsi que des dirigeants politiques, syndicaux et militaires vénézuéliens.
L’opposition parlementaire, en revanche, a largement boycotté l’événement, accusant le pouvoir de « fraude constitutionnelle ». Selon elle, l’intérim devrait être assumé par le président de l’Assemblée.
« NOUS SOMMES SÛRS DE LA DÉMOCRATIE VÉNÉZUÉLIENNE »
L’investiture de M. Maduro est intervenue le jour même des funérailles d’Etat accordées à Hugo Chavez, décédé mardi. Selon la Constitution, une élection présidentielle devrait être convoquée dans les trente jours suivant la disparition du président, qui avait désigné son vice-président comme dauphin politique.
Sitôt après son investiture, Nicolas Maduro a annoncé avoir« officiellement demandé à la présidente » du Conseil électoral national (CNE), Tibisay Lucena, de « convoquer immédiatement l’élection présidentielle », qui doit se tenir dans un délai de trente jours à la suite de la mort du président, selon la Constitution. « Le jour où ils nous convoqueront, nous serons prêts pour aller aux élections, nous sommes sûrs de nous, nous sommes sûrs de la démocratie vénézuélienne », a-t-il ajouté.
Dauphin désigné par l’ancien président décédé, il a pris sa première décision politique en nommant au poste de vice-président de la République le ministre des sciences, Jorge Arreaza, gendre de Hugo Chavez. Epoux de Rosa Virginia, fille aînée de Hugo Chavez, M. Arreaza a gagné en visibilité au cours de derniers mois de la maladie du président.
L’élection présidentielle post-Chavez aura lieu le 14 avril
L’élection présidentielle post-Chavez au Venezuela aura lieu le dimanche 14 avril, a annoncé le Conseil national électoral (CNE), samedi 9 mars. « Nous convoquons l’élection présidentielle pour le 14 avril », a déclaré dans une intervention télévisée la présidente du CNE, Lucena Tibisay.
Les candidatures devront être déposées entre dimanche et lundi, et la campagne électorale officielle se déroulera du 2 au 11 avril, a ajouté la présidente du CNE.
Cette élection comblera le vide laissé par le président Hugo Chavez, décédé mardi à Caracas d’un cancer. Le dirigeant bolivarien charismatique et controversé avait été réélu en octobre pour un nouveau mandat de six ans, après avoir passé déjà quatorze ans au pouvoir, mais son état de santé dégradé ne lui avait pas permis de prêter serment.
La principale coalition de l’opposition vénézuélienne a annoncé dans la foulée avoir demandé à Henrique Capriles d’être son candidat. La Table de l’unité démocratique (MUD) a décidé « à l’unanimité » d’offrir à Capriles, rival malheureux d’Hugo Cavez en octobre, d’être son candidat, a déclaré son secrétaire général, Ramon Guillermo Aveledo. Le jeune (40 ans) gouverneur de l’Etat de Miranda, devrait faire connaître sa décision dans les prochaines heures.
M. Capriles a vivement dénoncé vendredi l’intronisation de M. Maduro comme président par intérim et sa future candidature, qu’il a qualifiée de « fraude constitutionnelle ». L’opposant estime que Maduro devrait diriger le pays jusqu’aux élections en tant que « vice-président chargé de la présidence » et non en tant que « président par intérim ». Et que, s’il voulait être candidat à la présidentielle, il devrait renoncer à ses fonctions.
Le gouvernement fait une lecture diamétralement opposée de la Constitution, qui a été validée vendredi par le Tribunal suprême de justice vénézuélien.
« Le monde gagnerait à avoir plus de dictateurs comme Chavez », selon Victorin Lurel, ministre français des outre-mer
Victorin Lurel, qui représentait le gouvernement français aux obsèques de Hugo Chavez vendredi 8 mars à Caracas, a confié son émotion à la presse après la cérémonie et a contesté le qualificatif de « dictateur » pour désigner l’ex-président vénézuélien. « Moi je dis, et ça pourra m’être reproché, (…) que le monde gagnerait à avoir beaucoup de dictateurs comme Hugo Chavez puisqu’on prétend que c’est un dictateur. Il a, pendant ces quatorze ans, respecté les droits de l’homme », a déclaré le ministre des outre-meraux radios RTL et Europe 1.
« Toute chose égale par ailleurs, Chavez c’est de Gaulle plus Léon Blum. De Gaulle parce qu’il a changé fondamentalement les institutions et puis Léon Blum, c’est-à-dire le Front populaire, parce qu’il lutte contre les injustices », a poursuivi M. Lurel.
« IL ÉTAIT TOUT MIGNON »
Le ministre s’est dit impressionné par la cérémonie d’hommage à l’ancien président vénézuélien. « C’était émouvant », a-t-il déclaré. « On peut ne pas être d’accord avec telle ou telle action de Hugo Chavez mais les gens sont fiers de ce qui a été fait en quatorze ans » de présidence.
Vendredi, pour les funérailles d’Etat du président décédé mardi, 32 chefs d’Etat et de gouvernement étrangers avaient fait le déplacement dans la capitale vénézuélienne. Le cercueil de Chavez était exposé dans le salon d’honneur de l’Académie militaire plein à craquer. Embaumé « comme Lénine », le corps restera encore exposé au public au moins sept jours, avant d’être plus tard visible dans le futur Musée de la révolution bolivarienne.
S’il a qualifié l’embaumement de pratique « d’un autre temps », Victorin Lurel s’est dit impressionné par la préparation du corps du défunt : « On avait l’impression qu’il y avait là une sorte d’opération, je pèse mes mots, de sanctification ». « Il était tout mignon (…), frais, apaisé comme [peuvent] l’être les traits de quelqu’un mort, on avait un Hugo Chavez pas joufflu comme on le voyait après sa maladie », a-t-il ajouté.
« NOUVEAU COUAC »
Plusieurs députés de droite et du centre ont dénoncé samedi ces propos. Sur Twitter, Christian Estrosi s’est dit « très choqué » par cette comparaison, son collègue UMPDominique Bussereau fustigeant « des propos hallucinants ».
L’Amérique centrale et les Caraïbes angoissées par la mort de Hugo Chavez
La mort du président vénézuélien Hugo Chavez, mardi 5 mars, a plongé l’Amérique centrale et les Caraïbes dans l’angoisse. Plusieurs gouvernements ont décrété des deuils nationaux. Les pays de la région craignent la fin, ou la diminution, des largesses pétrolières du leader « bolivarien » qui leur ont permis de résister à la crise des dernières années.
Une question revient dans les conversations et les médias : Petrocaribe survivra-t-il à M. Chavez ? Depuis 2005, cet accord permet à 18 pays de la région d’obtenir du pétrole vénézuélien à des conditions privilégiées. Les pays bénéficiaires ne règlent qu’entre 5 % et 50 % de la valeur des importations, avec un délai de grâce de deux ans. Le reste de la facture est payable à vingt-cinq ans, avec un taux d’intérêt de 1 %.
Cuba Recevant près de 100 000 barils de pétrole par jour, payés en partie par l’envoi de 35 000 médecins, personnels sanitaires ou sportifs travaillant au Venezuela, Cuba est le pays qui a le plus à perdre. Une éventuelle réduction de l’aide vénézuélienne – 10 milliards de dollars (7,7 milliards d’euros) par an selon des économistes exilés – fait planer la menace d’un retour aux restrictions de la « période spéciale » qui avait suivi la disparition du bloc soviétique dans les années 1990.
Nicaragua Proche allié idéologique de la « révolution bolivarienne », le Nicaragua sandiniste a reçu plus de 2,5 milliards de dollars du Venezuela depuis 2007. Cette coopération lui a permis de surmonter une grave crise électrique et de financer des programmes sociaux. Gérés de manière discrétionnaire par le président Daniel Ortega, ces fonds ont alimenté la corruption, selon l’opposition, qui réclame l’ »institutionnalisation » de la coopération vénézuélienne.
Haïti Homme de droite, chantre du business, le président haïtien Michel Martelly s’est vite laissé séduire par la générosité pétrolière de Chavez. Le Venezuela est devenu l’un des principaux bailleurs de fonds d’Haïti. Après le séisme de janvier 2010, Chavez a annulé la dette d’Haïti, d’un montant de 395 millions de dollars. Les fonds de Petrocaribe, plus de 1,3 milliard de dollars depuis 2008, ont financé trois centrales électriques, l’aéroport du Cap Haïtien, et des programmes de santé exécutés par des médecins cubains.Le président Martelly a récemment vanté la coopération du Venezuela, « qui offre le plus de dons, avec très peu de conditions ».
République dominicaine Les fonds de Petrocaribe ont permis à la République dominicaine – plus de 600 millions de dollars par an – de ne pas être asphyxiée par la hausse des cours du brut. La rapide augmentation de la dette dominicaine envers le Venezuela, 3,2 milliards de dollars en janvier 2013, a fait de Caracas le premier créancier de Saint-Domingue.
Jamaïque Selon l’ancien ministre jamaïcain des finances Wesley Hughes, la fin de Petrocaribe « aurait un impact négatif de 600 millions de dollars sur la balance des paiements » de la Jamaïque, l’un des pays les plus menacés par la crise de l’endettement.
RÉDUIRE LES FLUX D’AIDE
Le 9 janvier à Caracas, en présence des représentants des 18 pays membres de Petrocaribe, le vice-président vénézuélien et héritier désigné de M. Chavez, Nicolas Maduro, avait ratifié « l’engagement du gouvernement bolivarien pour la période 2013-2019 ». Mais face à la détérioration de l’économie vénézuélienne, un nouveau gouvernement, même chaviste, pourrait être tenté de réduire les flux d’aide.
Si l’opposition vénézuélienne l’emporte à la prochaine élection présidentielle, Petrocaribe serait menacé de disparition. Le candidat Henrique Capriles Radonski l’avait annoncé lors de la campagne pour le scrutin d’octobre 2012 : « A partir de 2013, plus aucun baril gratuit de pétrole ne sera envoyé à d’autres pays », avait-il promis.