RDC : le paludisme , ennemi public numéro un
Climat équatorial oblige, le pays est l’un de ceux où la malaria sévit en permanence, où elle fauche le plus de vies et n’est pas près de disparaître. Mais la prévention gagne du terrain.
Dans la pénible moiteur d’une chaude après-midi kinoise, une cinquantaine de femmes sont sagement installées sous la
véranda aménagée à l’entrée du centre de santé Libikisi, hôpital confessionnel niché au coeur de la commune populaire de Bandalungwa, dans le centre de la capitale. Malgré l’agitation de leurs nourrissons braillards, elles écoutent attentivement les instructions de l’infirmier. Celui-ci leur explique en lingala comment manipuler la moustiquaire imprégnée à longue durée (Mild). À l’issue de la démonstration, les précieux tissus antimoustiques leur sont distribués.
« Malaria maladi mabe ! », (« le paludisme est une maladie méchante », en lingala) chantent en choeur d’autres voix féminines, un peu plus loin, à la consultation prénatale. Dans ce hall intégré à la bâtisse de style colonial que perce une cour centrale, le même cérémonial se répète, chanson à l’appui. L’un des meilleurs moyens pour mieux assimiler le message.
Bien que le centre Libikisi soit un établissement privé, la distribution gratuite de moustiquaires peut s’y faire grâce au soutien financier du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui se charge de fournir les intrants antipaludiques. Créé en 2002 sous l’impulsion de Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, le Fonds mondial, émancipé depuis des Nations unies, est devenu la principale institution financière internationale de collecte de fonds pour la santé et de ressources allouées à la prévention et au traitement des trois maladies virales.
En RDC, la lutte contre le palu, première cause de consultation et de décès dans les hôpitaux, a été décrétée priorité de santé publique. La pluviométrie constante fait de cette région équatoriale du continent une zone particulièrement propice à la malaria, où celle-ci y est donc endémique, c’est-à-dire qu’elle y sévit de façon permanente. Sur une population de 66 millions d’habitants, 5 millions de cas de paludisme et entre 500 000 et 1 million de décès sont recensés chaque année.
Kits
Le programme national de lutte contre le paludisme cible les populations les plus vulnérables, au premier rang desquelles les femmes enceintes et les enfants en bas âge, principaux concernés par les mesures de protection prévues par les programmes de santé. La première d’entre elles prescrit de dormir sous une moustiquaire imprégnée d’insecticide (à base de pyréthrinoïdes), sachant que l’exposition aux piqûres de l’anophèle, le moustique dont la femelle transmet le virus, intervient principalement la nuit.
« Avant, les gens allaient placer directement la moustiquaire neuve dans leur chambre sans prendre de précautions, alors qu’il faut l’exposer à l’obscurité pendant 24 heures afin de faire partir les odeurs d’insecticide, avant de pouvoir dormir dans la pièce. Cela provoquait des étouffements et des réactions allergiques », explique le docteur Papy Mfulu Kiese, médecin directeur du centre depuis 2006. D’où la nécessité de ces sessions de sensibilisation. Pour s’assurer d’un bon usage des kits distribués, des agents itinérants, les « relais communautaires », s’occupent du « service après-don ». Désignés au sein des quartiers, chacun de ces intermédiaires entre le bureau du centre de santé et la communauté a la charge d’une quinzaine de parcelles. En cas de problème, ils font remonter l’information.
Dépistage rapide
Dans l’une des rares chambres du centre de santé, un jeune enfant convulse dans les bras de sa mère, si faible qu’il ne peut ni marcher ni même se tenir assis. Il fait une crise grave. Les médecins estiment qu’à ce stade de la maladie, son pronostic vital est engagé. Sa mère, Françoise Nowa, s’est pourtant procuré une moustiquaire auprès de femmes qui en vendaient dans la rue. Mais la toile, sans doute défectueuse, a laissé passer les moustiques. À Kinshasa, le commerce de moustiquaires non homologuées, souvent de simples étoffes, est au centre d’un petit business informel. Et parfois fatal.
La chambre ne peut accueillir que trois lits. Faute de supports convenables, la perfusion de quinine est accrochée à un fil suspendu par deux pointes au plafond. Au centre Libikisi, avec une capacité de 38 lits pour une moyenne de 150 consultations par jour, on tente de faire avec les moyens du bord pour prendre en charge au mieux l’afflux constant de patients. « Dans 60 % des consultations, nous avons affaire à des cas de paludisme, et au moins 30 % de ces malades sont des enfants. En tout, nous comptons plus de 800 cas par mois », détaille le docteur Mfulu Kiese.
Heureusement, depuis maintenant quatre ans, le diagnostic peut être obtenu avec plus de rapidité. Au lieu de la traditionnelle « goutte épaisse » qui mettait une heure avant de livrer ses résultats, le test de dépistage rapide (TDR) permet de savoir en un quart d’heure si le patient est positif au parasite Plasmodium falciparum, en cause dans le paludisme. Résultat : les cas de malaria peuvent être traités quatre fois plus vite.
À l’issue de l’examen, les médicaments fournis par le Fonds mondial sont en accès gratuit à la pharmacie du centre quand le patient se présente avec une ordonnance. Une aide salutaire, mais qui se heurte encore à une barrière financière : celle du prix de la consultation, qui coûte 6 dollars (environ 4,50 euros) alors que le salaire moyen mensuel en RDC n’est que de 30 dollars.
Cas d’école
Après 220 km d’une route étroite serpentant à travers des collines verdoyantes, c’est l’arrivée à Kimpese. Cette bourgade de 65 000 habitants est l’une des 31 zones de santé de la province du Bas-Congo (à l’ouest de Kinshasa). Le pays en compte 516, elles-mêmes subdivisées en aires de santé. Seules 219 de ces zones sanitaires (soit un peu moins de la moitié) sont couvertes par les programmes du Fonds mondial. Beaucoup restent difficilement accessibles et ne peuvent être ralliées qu’en pirogue, à moto ou en avion, des moyens tout aussi périlleux les uns que les autres.
Superviseur principal de la zone de santé de Kimpese, Joseph Nketawi témoigne des progrès accomplis localement dans la lutte contre la malaria : « La formation des agents et la gratuité des intrants antipaludiques intervenue en 2010 grâce au Fonds mondial ont permis d’observer une chute spectaculaire des cas enregistrés de paludisme, et ce malgré une recrudescence fin 2012. Mais celle-ci n’est due qu’à la pluviométrie exceptionnelle, qui a laissé des familles sans domicile, donc exposées aux piqûres », assure-t-il, graphiques à l’appui.
Rituel
Dans cette région rurale, l’apprentissage des comportements commence à l’école qui jouxte le centre de santé de la ville. « Le paludisme, c’est quoi ? » demande un instituteur, transpirant à grosses gouttes, à sa classe de 40 élèves très disciplinés. Levant la main, un garçonnet tente : « Le paludisme est une infection causée par le Plasmodium ! » Pour l’encourager, sa bonne réponse est immédiatement récompensée par une salve d’applaudissements, suivie d’un tambourinage sur la table. Ce rituel scolaire enhardit ses camarades, qui se bousculent à leur tour pour montrer que la leçon a été retenue. « Quelles sont les mesures de prévention ? » poursuit le maître. « La propreté, c’est la grande règle de la santé ! » répondent ses disciples tous en choeur.
Au cours de cette matinée, ces enfants âgés de 10 à 14 ans, en classe de sixième (équivalent du CM2) ont appris que l’accumulation des déchets et les dépôts d’eau stagnante autour des maisons sont des nids à moustiques et favorisent leur prolifération. En guise d’exemple, leur école « assainie » se veut un modèle de salubrité. « Nous leur enseignons à sensibiliser leurs parents qui, bien souvent, n’ont pas été à l’école eux-mêmes », explique Ravel Kifuani, l’enseignant. Un mode de transmission intergénérationnel, des enfants aux parents, qui fait ses preuves.
Que fait le ministère ?
Le principe est simple. Pour bénéficier des subventions pour la lutte contre le palu du Fonds mondial (231 millions de dollars pour la période 2012-2014), le gouverne¬ment congolais doit faire preuve de bonne volonté en apportant sa quote-part au financement du secteur de la santé. Une proportion qui doit représenter au moins 5 % du budget de l’État… et qui n’a pas été atteinte dans celui adopté pour 2013. Félix Kabange Numbi Mukwampa, le ministre congolais de la Santé, explique que cette réduction est due à l’effort financier déployé pour apaiser la crise dans l’est du pays et multiplie les effets d’annonce : libération des frais de fonctionnement pour certains hôpitaux, création d’un fonds spécial pour la santé, achat d’équipements, réhabilitation de structures médicales, accroissement du capital médicament des zones de santé… Selon lui, tout sera réglé en 2014. Le rendez-vous est pris. A.P.
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Par Abdel Pitroipa, envoyé spécial à Kinshasa et à Kimpese
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