Présidentielle en RDC: l’opposant Martin Fayulu veut « faire du Congo un pays normal »

Présidentielle en RDC: l’opposant Martin Fayulu veut « faire du Congo un pays normal »

Déclaré second au scrutin de 2018, le patron du parti Engagement pour la citoyenneté et le développement, Martin Fayulu, dénonce le bilan chaotique du président Tshisekedi. Martin Fayulu est pour la seconde fois candidat à l’élection présidentielle en République démocratique du Congo (RDC), prévue le 20 décembre. En 2018, l’opposant – désigné par la coalition Lamuka (« réveille-toi » en lingala) formée contre l’ancien président Joseph Kabila – s’était alors déclaré vainqueur du scrutin, s’appuyant notamment sur les observateurs de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco).

Cinq ans plus tard, le patron du parti Engagement pour la citoyenneté et le développement (Ecidé) conteste encore les résultats officiels qui ont amené Félix Tshisekedi au pouvoir.

Quel bilan faites-vous du mandat de l’actuel chef d’Etat ?
Martin Fayulu: D’abord, Félix Tshisekedi n’est pas sorti vainqueur en 2018. Il a usurpé le pouvoir avec la complicité de Joseph Kabila. Aujourd’hui, son bilan est chaotique. L’insécurité est totale. Même dans les zones où l’on pouvait circuler vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce n’est plus possible désormais.

Deuxièmement, le vol et la corruption sont devenus des modes de gestion. L’ancien directeur de cabinet de Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe, a été condamné par la justice congolaise à vingt ans de prison pour détournement de 57 millions de dollars (52,4 millions d’euros) de fonds publics. Aujourd’hui, il est dehors [il a été acquitté par la cour d’appel de Kinshasa en juin 2022] et a été nommé ministre de l’économie nationale.

Troisièmement, Félix Tshisekedi a exacerbé le tribalisme et le Congo est dangereusement divisé. Enfin, les emplois n’ont pas été créés et le taux de chômage a explosé, alors même que le train de vie de l’Etat augmentait. Sans compter que certaines figures ont été emprisonnées sans raison valable, comme le journaliste Stanis Bujakera ou encore Salomon Idi Kalonda [le bras droit de l’opposant Moïse Katumbi, également candidat à la présidentielle].

Vous êtes très critique, pourtant, certains vous accusent d’avoir accepté un soutien financier de Félix Tshisekedi pour votre campagne
Des mensonges ! J’ai travaillé dans le secteur pétrolier et je n’ai jamais accepté indûment un seul dollar.

Quelle est votre principale promesse de campagne ?
Ma vision est de bâtir un Congo libre, fort, digne et prospère avec des citoyens et des citoyennes unis. Il faut faire du Congo un pays normal, ce qui signifie garantir l’intégrité territoriale, l’Etat de droit, la cohésion nationale et une gouvernance intègre. L’argent de l’Etat doit servir à investir dans les biens sociaux ou publics. Fini le vol et la corruption ! Avec moi, la tolérance zéro sera de mise.

L’Union européenne a annoncé qu’elle annulait le déploiement de sa mission d’observation électorale. Cette décision risque-t-elle d’entacher la crédibilité du processus ?
La crédibilité du processus est déjà entachée et la fraude risque d’être massive. D’abord, le fichier électoral n’est pas fiable. Ensuite, la plupart des achats effectués par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) n’ont été soumis à aucun appel d’offres.

Puis, l’opération d’enrôlement [l’inscription sur les listes électorales] a été totalement opaque. Aujourd’hui, une grande partie des électeurs n’ont pas reçu leur carte. D’autres ont des documents à l’encre effacée et doivent aller chercher leur duplicata qui n’est disponible que dans les antennes de la CENI. Or celles-ci peuvent être très éloignées du lieu d’habitation des électeurs.

Craignez-vous un report des élections générales prévues le 20 décembre ?
C’est la date annoncée par la CENI et c’est pour cela que nous sommes en campagne. Si elle ne la respecte pas, elle devra en tirer toutes les conséquences, y compris nous rembourser les frais engagés.

Les Congolais sont appelés aux urnes pour élire leur président mais aussi leurs députés et une partie de leurs conseillers communaux. En juin, vous avez refusé d’engager les députés qui vous soutiennent dans la course aux législatives malgré votre candidature à la présidentielle. Regrettez-vous ce choix ?
Pas du tout. Pour faire des omelettes, il faut casser des œufs. Nous avons refusé d’engager nos députés pour mettre la pression et exiger des élections transparentes.

Mais si vous êtes élu, vous n’aurez pas de majorité…
La solution se trouve dans notre Constitution. Elle dit qu’un candidat indépendant peut être président de la République et que, à l’issue des élections, chaque député rejoint la majorité ou bien l’opposition. Au moment venu, je discuterai avec ces élus du peuple et j’arriverai à les convaincre.

Trois candidats ont déjà rallié Moïse Katumbi. Une candidature unique de l’opposition, comme en 2018, est-elle possible ?
C’est toujours possible, mais c’est d’abord le peuple qui doit vous diriger vers un candidat commun. En 2018, tel a été le cas. Aujourd’hui, je discute avec des candidats. Nous signons des communiqués communs avec Floribert Anzulini, le pasteur Théodore Ngoy, le docteur Denis Mukwege, le gouverneur Jean-Claude Baende et Nkema Liloo Bokonzi pour demander des élections transparentes et impartiales. Il y a des atomes crochus et certaines choses peuvent se dessiner plus tard.

Si deux blocs de l’opposition font face à Félix Tshisekedi, l’un mené par Moïse Katumbi, l’autre par vous-même, ne craignez-vous pas un éparpillement des voix ?
Non, pas du tout. Le peuple n’est pas dupe et choisira celui qui est à même de le sortir de la misère et de lui amener la prospérité.

Tous les candidats ont promis de ramener la paix dans l’est du pays. Comment ferez-vous si vous êtes élu ?
Il faut d’abord que l’armée soit formée, équipée et patriote. Une unité de surveillance de nos frontières sera créée ainsi que des grands camps militaires au Nord-Kivu. Concernant les groupes armés, il faudra engager une vraie démobilisation des combattants. Le programme actuel ne fonctionne pas et est mal conçu. Beaucoup de miliciens sont dans ces groupes armés du fait de la pauvreté et non par conviction.

Une partie du Nord-Kivu est sous contrôle des rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). Ce groupe est soutenu et appuyé par le Rwanda, selon les Nations unies et Kinshasa. Quelles sont vos relations avec Kigali ?
Actuellement, je n’ai aucune relation avec le Rwanda. Le M23 n’est pas un groupe rebelle, c’est un supplétif de l’armée rwandaise dont l’objectif est de déstabiliser la RDC. Auparavant, le Nord-Kivu était le grenier de la région et les autres pays, comme l’Ouganda et le Burundi, dépendaient de nous. Mais aujourd’hui, à cause de la situation créée par Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, la région est maintenue dans une condition d’esclave ou de néocolonisée.

(Avec Le  Monde: Propos recueillis par Coralie Pierret(Goma, correspondance)