La voiture autonome révolutionne l’automobile… et notre monde

Moins contraignante, plus sûre, la voiture autonome aiguise les appétits des constructeurs mais aussi et surtout des géants du numérique.
Le téléphone vibre. Il m’indique que la voiture, commandée il y a quelques minutes, est déjà sur le point d’arriver devant la porte. Le temps de débrancher l’ordinateur et d’attraper ma veste, je m’installe à bord, par habitude dans le sens de la marche et à la place du conducteur, même si la loi nouvellement votée me permet désormais de déléguer intégralement la conduite au logiciel de la voiture pendant toute la durée du trajet. L’adresse de ma destination étant déjà programmée dans le système de navigation, la voiture démarre en douceur dès que j’ai bouclé ma ceinture… Je vais pouvoir profiter du trajet pour répondre à mon courrier électronique et, pourquoi pas, m’assoupir en toute sérénité devant une vidéo avant d’arriver, frais et dispos, à bon port.
Tesla la promet pour 2018
Cette scène qui semble tout droit sortie d’un film de science-fiction sera une réalité beaucoup plus tôt que vous ne le pensez. Elon Musk, le très médiatique patron de Tesla, jamais à court d’effets d’annonce pour soutenir son cours de Bourse, la promet à ses clients pour le courant de l’année 2018. « Si vous êtes à Los Angeles et que votre Tesla est à New York, elle pourra venir vous chercher par ses propres moyens. » « Elle vous trouvera grâce à votre téléphone, et se débrouillera pour se recharger le long du parcours », et ce, grâce aux chargeurs à bras robotisés que le constructeur est déjà en train de développer.
La loi va devoir changer
Certes, la plupart des autres constructeurs sont plus prudents, et ils ont sans doute raison puisqu’il faudra d’abord que la loi soit changée pour autoriser sur route l’usage d’une technologie déjà en phase d’essais sous la surveillance d’ingénieurs. En effet, si Volvo a déjà expliqué vouloir assumer la responsabilité des collisions provoquées par ses futurs modèles autonomes, le cadre juridique de la voiture autonome est encore à écrire. Certes, des amendements ont déjà été apportés à la convention de Vienne de 1968 – qui stipule que « tout conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule » – lui ont déjà été apportés pour permettre les premières expérimentations sur route de prototypes, mais la commercialisation de modèles 100 % autonomes transportant des particuliers n’est pas encore prévue par la loi. Outre l’attribution des responsabilités en cas d’accident, celle-ci devra intégrer une dimension éthique pour déterminer de quelle façon la voiture autonome devra réagir en cas de collision inévitable : comment évaluer les différents scénarios pour choisir le plus acceptable ? Faudra-t-il par exemple qu’elle privilégie la sécurité de ses occupants sur celle d’autres usagers de la route ou de piétons imprudents ? Autant de questions auxquelles législateur, assureurs et constructeurs devront répondre rapidement.
Baisse drastique de la mortalité routière
Mais l’attrait de cette technologie est tel que les obstacles qui lui barrent encore la route devraient être rapidement… écartés. Les bénéfices attendus sont effectivement énormes, qu’il s’agisse des cinquante minutes quotidiennes libérées en moyenne pour chaque conducteur(rice), qu’il (ou elle) pourra consacrer à son travail ou à se divertir, ou plus encore de la baisse drastique (jusqu’à 90 %) du nombre d’accidents graves ou mortels, qui permettrait d’économiser à terme jusqu’à 190 milliards de dollars par an pour les seuls États-Unis, selon une étude de McKinsey.
Message. La carrosserie du concept-car IDS de Nissan est équipée de diodes et d’un système de signaux lumineux, mis au point à destination des piétons. La ligne de caisse s’éclaire en rouge lorsque le véhicule a détecté leur présence. Ici, un message s’affiche pour les inviter à traverser. © Nissan DR
La fin du plaisir de conduire?
Alors que Google, nouveau venu dans l’automobile, imagine déjà un taxi robot sans volant, les constructeurs traditionnels prévoient d’aller plus progressivement vers la voiture autonome afin de ne pas perdre au passage une part de leur clientèle encore réticente. Celle qui hésite à mettre sa vie entre les mains d’une machine ou à perdre le contrôle d’une nouvelle portion de leur vie privée. Car si la voiture conduit à votre place, elle pourra dévoiler le détail de votre emploi du temps et de vos déplacements… Il s’agit aussi de ne pas renoncer brutalement au plaisir de conduire, cette relation privilégiée que les constructeurs ont su un siècle durant tisser entre les automobilistes et leur voiture.
Voilà pourquoi les constructeurs traditionnels préfèrent envisager de façon progressive le chemin vers la voiture totalement autonome, comme un empilage de couches successives d’aides à la conduite. Pour l’instant, sous la surveillance du conducteur, certains modèles haut de gamme sont déjà capables de prendre le contrôle de l’accélérateur et du frein, grâce à un radar permettant de régler la vitesse en fonction du trafic environnant. Ils peuvent aussi maîtriser leur trajectoire pour rester dans leur voie de circulation, au moyen d’une caméra qui lit le marquage au sol.
Sans les mains, sans les yeux, puis… sans conducteur!
L’étape suivante, dite « sans les mains », est imminente. Elle va permettre de lâcher complètement le volant grâce à des capteurs supplémentaires destinés à rendre plus sûre la détection d’éventuels obstacles (on parle alors de triple redondance, combinant à la fois caméra, radar et scanner laser). Cette fonction sera d’abord disponible sur autoroute. La voiture pourra changer de voie de sa propre initiative pour dépasser un véhicule plus lent, après s’être assurée que cette opération est possible en toute sécurité. Il faudra sans doute attendre un peu plus longtemps pour que la voiture sache négocier seule un carrefour complexe en ville.
L’étape dite « sans les yeux » imposera un changement plus profond de la législation, parce qu’elle permettra au conducteur de quitter la route du regard pour se livrer à une tout autre activité. Nissan prévoit par exemple de commercialiser une voiture de ce type dès 2020 (voir encadré). Enfin, l’ultime phase de la « voiture robot » permettra de se passer complètement de conducteur. La voiture ira se garer seule après avoir déposé son hôte à destination, puis reviendra le chercher sur demande. Elle permettra surtout à tous les tenants d’un nouveau type de mobilité comme Google ou Uber de charger des clients comme le fait aujourd’hui un taxi ou un VTC, mais sans chauffeur, d’où une économie considérable. Techniquement, tout cela est déjà pratiquement possible, à condition d’éviter les situations les plus complexes : il faudra encore quelques années d’apprentissage aux voitures autonomes pour trouver leur chemin sur une route enneigée, se faufiler entre des cyclistes et piétons indisciplinés, ou – véritable cauchemar pour ingénieurs – traverser la place de l’Étoile en pleine heure de pointe !
Par YVE MAROSELLI, Publié le | Le Point