Egypte : l’armée a destitué le président Morsi et promet des élections générales anticipées

Mohamed Morsi n’est plus le président de l’Égypte. Démis de ses fonctions par les militaires, il a été arrêté mercredi puis transféré dans la nuit au ministère de la Défense. Le chef de l’armée a annoncé la tenue d’élections générales.

Mohammed Morsi, Abdel-Fattah el-SissiIl aura tenu à peine plus d’un an à la tête de l’Égypte. L’islamiste Mohamed Morsi, premier président démocratiquement élu dans le pays, a été destitué de ses fonctions présidentielles mercredi 3 juillet. L’armée égyptienne a confirmé à l’AFP que le président déchu avait été transféré jeudi à l’aube au ministère de la Défense où l’armée le détient à titre « préventif ». Ses conseillers ont été pour leur part assignés à résidence dans la caserne de la Garde républicaine.

Entouré notamment des dignitaires religieux musulmans et chrétiens du pays ainsi que du représentant de l’opposition Mohamed El Baradei, le chef de l’armée égyptienne, Abdel Fattah al-Sissi, a annoncé mercredi soir lors d’une déclaration télévisée, que la Constitution du pays était suspendue de manière temporaire et que des élections présidentielle et législatives seraient prochainement organisées. Entre temps, la période de transition sera assurée par le président de la Cour constitutionnelle, Adly Mansour, qui doit prêter serment ce jeudi matin.

Abdel Fattah al-Sissi a également annoncé, mercredi, que l’Égypte allait désormais être dirigée par un gouvernement d’experts et qu’une commission serait chargée de réviser la Constitution. À ce propos, Amr Moussa, figure de l’opposition, a annoncé que des consultations avaient déjà débuté en ce sens. Le chef de l’armée a par ailleurs prévenu la population que l’armée et la police répondraient à toutes les violences.

Le chef de l’opposition, Mohamed el-Baradei a, quant à lui, repris les déclarations du chef de l’armée et espéré que la chute de Mohamed Morsi signerait « un nouveau point de départ de la révolution du 25 janvier [2011] ». Les salafistes du parti Al-Nour se sont également ralliés à la feuille de route des militaires et ont fait savoir qu’ils souhaitaient la mise en place d’une transition pacifique. L’armée, qui avait pris les rênes de l’exécutif durant 16 mois entre la chute de Hosni Moubarak et l’élection de Mohamed Morsi, n’a toutefois pas précisé la durée de la transition avant les élections générales. Sur la place Tahrir du Caire, où les anti-Morsi sont rassemblés par dizaines de milliers depuis dimanche 30 juin, ces déclarations ont été accueillies mercredi soir par des scènes de liesse. Peu de temps après, une vidéo était diffusée dans laquelle Morsi se réaffirme comme le président légitime du pays et appelle les égyptiens à la résistance pacifique à ce qu’il qualifie de coup d’État.

Morsi détenu, des membres des Frères musulmans arrêtés

egypte-freres musulmansUn haut responsable de l’armée a confirmé à l’AFP que les militaires détenaient l’ex-chef d’État « de façon préventive », laissant entendre qu’il pourrait être poursuivi, alors qu’il est sous le coup – avec plusieurs dirigeants de la confrérie, dont le Guide suprême Mohammed Badie et son « numéro 2 » Khairat al-Chater – d’une interdiction de quitter le territoire dans le cadre d’une enquête sur son évasion en 2011 d’une prison avec 33 autres Frères musulmans.

La détention de l’ancien chef de l’État et de sa garde rapprochée est la dernière étape d’une série de mesures des forces de sécurité qui ont resserré en quelques heures leur étau sur la confrérie. Selon des sources de sécurité, le chef du Parti de la justice et de la liberté, émanation du parti des Frères, Saad al-Katatni, et l’adjoint du Guide suprême de la confrérie, Rached Bayoumi, ont été arrêtés, tandis que le journal gouvernemental Al-Ahram fait état de 300 mandats d’arrêt lancés contre des membres du mouvement islamiste. L’agence officielle de presse Mena affirment qu’ils sont accusés d’incitation à la violence et de troubles à la sécurité et à la paix. Les autorités militaires ont également  fermé trois chaînes de télévision favorables à Morsi, dont Egypt25, la chaîne des Frères musulmans. Selon l’agence Mena, les directeurs d’Egypt25 ont été arrêtés peu après l’annonce de la destitution de Morsi.

Ce coup de force met fin à une année d’exercice du pouvoir par les Frères musulmans, marquée par de vives tensions et des explosions sporadiques de violences, et ouvre une nouvelle période de transition politique.

la communauté internationale appelle au retour de la démocratie

La destitution, par l’armée, du président égyptien Mohamed Morsi mercredi a provoqué nombre de réactions notamment dans les capitales occidentales. Obama se dit très préoccupé, l’UE quant à elle réclame des élections dans les plus brefs délais.

Après l’annonce de la destitution du président égyptien Mohamed Morsi mercredi 3 juillet, la réaction de Washington, qui avait depuis quelques jours les yeux rivés sur l’un des ses principaux alliés arabes, à mesure que la tension croissait dans le pays, était très attendue. C’est le président américain en personne qui a réagi à cet évènement qui rebat les cartes au Moyen-Orient.  « Les États-Unis suivent la situation très indécise en Égypte, et nous croyons qu’en définitive l’avenir du pays ne peut être déterminé que par le peuple égyptien », a ainsi déclaré Barack Obama, dans un communiqué, après une réunion avec ses conseillers pour la sécurité nationale à la Maison Blanche.  

Et de poursuivre  « Nous sommes néanmoins très préoccupés par la décision des forces armées égyptiennes de déposer le président Morsi et de suspendre la Constitution égyptienne. À noter que le chef d’État américain n’a ni condamné l’action de l’armée, ni évoqué un coup d’État.

« J’appelle maintenant le pouvoir militaire égyptien à rendre toute l’autorité rapidement et de manière responsable à un gouvernement civil démocratiquement élu selon un processus ouvert et transparent », a-t-il toutefois ajouté.

Il a par ailleurs demandé aux agences et ministères américains concernés d’évaluer les « implications » légales de la nouvelle situation sur l’aide que Washington verse annuellement au Caire – quelque 1,3 milliard de dollars d’aide militaire – et qui, en vertu de la loi américaine, ne peut théoriquement pas aller vers un pays où un coup d’État a eu lieu.

Le monde arabe

Le président syrien Bachar al-Assad a , quant à lui, estimé mercredi que la destitution du président égyptien, qui soutenait la rébellion contre le régime de Damas, était synonyme de l’échec de l’islam politique.

« Quiconque se sert de la religion dans le champ politique pour favoriser un groupe aux dépens d’un autre tombera où que ce soit dans le monde », a-t-il dit, selon un communiqué cité par le quotidien officiel « Thawra ». « Le résumé de ce qui se passe en Égypte, c’est la chute de ce que l’on appelle l’islam politique », a-t-il ajouté.

En revanche, plusieurs monarchies du Golfe, Arabie saoudite en tête, se sont réjouies de l’intervention des militaires égyptiens. Le roi Abdallah a adressé un message de félicitations au président de la Haute Cour constitutionnelle égyptienne, Adly Mansour, qui sera investi, ce jeudi, chef de l’État par intérim. « Nous vous félicitons pour votre arrivée au pouvoir à ce stade crucial de son histoire et nous prions Dieu pour qu’il vous aide à assumer la responsabilité qui vous incombe afin d’accomplir les ambitions de notre peuple frère d’Égypte », a écrit le monarque saoudien.

Paris « prend acte »

En France, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a « pris acte » de l’annonce de nouvelles élections. Paris « souhaite que les échéances soient préparées dans le respect de la paix civile, du pluralisme, des libertés individuelles et des acquis de la transition démocratique, afin que le peuple égyptien puisse choisir librement ses dirigeants et son avenir », a-t-il précisé sur Facebook.

 

L’Union européenne a appellé toutes les parties à « retourner rapidement au processus démocratique », notamment par la tenue d’une nouvelle élection présidentielle. La chef de la diplomatie de l’UE, Catherine Ashton, a indiqué dans un communiqué « espérer que la nouvelle administration cherchera à rassembler », et a réitéré « l’importance d’un respect total des droits fondamentaux ».

Enfin, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a estimé « préoccupante » l’intervention de l’armée pour renverser le président égyptien Mohammed Morsi, tout en jugeant les revendications des manifestants égyptiens « légitimes ».

Portrait du général Abdel Fattah al-Sissi, l’homme fort de l’armée égyptienne qui défie Mohamed Morsi

sisi-egypteEn lançant un ultimatum au président égyptien Mohamed Morsi, fortement contesté dans la rue, le chef d’état-major de l’armée égyptienne, le général Abdel Fattah al-Sissi, a fait une entrée fracassante sur la scène du pays. Portrait.

« Morsi n’est plus notre président, Sissi avec nous ». Ce slogan scandé lundi soir par les manifestants égyptiens, réunis depuis plusieurs jours au Caire pour réclamer le départ du président Mohamed Morsi, a propulsé le chef d’état-major le général Abdel Fattah al-Sissi sur le devant de la scène. Et pour cause, en fixant un ultimatum de 48 heures à la classe politique du pays pour régler la crise, le commandement militaire a implicitement mis la pression sur le chef d’État issu des Frères musulmans, élu il y a tout juste un an.

Dans un message lu lundi à la télévision, le général al-Sissi a averti que « si les revendications du peuple n’étaient pas satisfaites durant cette période », les forces armées « annonceraient une feuille de route et des mesures pour superviser sa mise en œuvre ». Elles « ne tolèreront pas que quiconque cherche à échapper à ses responsabilités et ne le pardonneront pas » a-t-il encore ajouté, tout en précisant que les militaires « ne participeront pas à la vie politique ou au gouvernement ». Des propos qui ont valu à Abdel Fattah al-Sissi les acclamations de la foule réunie place Tahrir. « L’armée s’est rangée aux côtés du peuple », a estimé pour sa part le mouvement d’opposition Tamarrod (rébellion en arabe), à l’origine des manifestations monstres du 30 juin.

Adoubé par les Américains et les Saoudiens

Âgé de 59 ans, formé au Royaume-Uni et aux États-Unis, et décrit par la presse égyptienne comme charismatique, il était inconnu du grand public jusqu’à sa nomination, en 2011 par le maréchal Hussein Tantaoui, au sein du Conseil suprême des forces armées (CSFA), chargé de la transition post-Moubarak. 

Nommé par Mohamed Morsi à la tête de l’armée et au poste de ministre de la Défense en août 2012, à la place de l’inoxydable maréchal Tantaoui, et ce « avec l’aval des Américains et des Saoudiens » selon la presse égyptienne, cet ancien chef des renseignements militaires est pourtant décrit comme proche de la Confrérie. Notamment à cause de ses liens de parenté avec feu Abbas al-Sissi, une figure très influente des Frères musulmans et disciple de Hassan al-Banna, le fondateur de la mouvance islamiste.

Toutefois, certains experts cités par les médias locaux s’accordent pour écarter cette thèse. En effet, selon eux, son ascension éclair au sein de l’armée et sa nomination à la tête des renseignements militaires n’aurait pu se faire s’il y avait le moindre doute sur ses accointances avec le mouvement le plus surveillé par le régime Moubarak. Ainsi, selon « Al-Shorouk », un quotidien égyptien du centre, « Abdel fattah al-Sissi a réussi à devenir populaire auprès des révolutionnaires [à la faveur de la contestation anti-Morsi, NDLR], sans compter les adeptes de l’ancien régime, qui le considèrent comme un rempart contre les Frères musulmans ».

Abdel Fattah al-Sissi est très proche de l’armée et des services de renseignements américains, avec lesquels il a coordonné la lutte contre le terrorisme dans la région, rapporte le quotidien américain « The Wall Street Journal ». En outre, en temps qu’ancien attaché militaire en Arabie saoudite, un posté clé sous Moubarak tant les relations avec la pétromonarchie étaient stratégiques, il entretient, toujours selon la presse égyptienne, d’excellents rapports avec les autorités des pays du Golfe.

Relation détériorée avec Morsi

Selon le journal égyptien « al-Ahram », ses relations avec le président Morsi se seraient nouées en 2011 après la nomination de ce dernier à la tête du parti « Liberté et Justice », vitrine politique des Frères musulmans. En tant que chef des renseignements militaires, le général al-Sissi aurait rencontré à plusieurs reprises celui qui allait succéder à Hosni Moubarak. C’est lui qui aurait négocié avec la présidence la mise à l’écart en douceur de la vieille génération d’officiers, avec à leur tête le maréchal Tantaoui, en échange d’une immunité pénale. Une relation basée sur la confiance, selon la presse égyptienne, qui s’est sensiblement effritée à mesure de l’accentuation de la contestation contre Mohamed Morsi.

Fin janvier déjà, le général Abdel Fattah al-Sissi était sorti de sa réserve pour lancer un premier avertissement. « La poursuite du conflit entre les forces politiques et leurs divergences sur la gestion du pays pourraient conduire à un effondrement de l’État », avait-il prévenu dans un message devant une académie militaire. En fixant un ultimatum de 48 heures au pouvoir, il a franchi une étape supplémentaire.

Avec dépêches