Cabinda: le colonel Kadate Lekumu et ses douze compagnons bientôt devant les juges

Kadate
Colonel Kadate Lekumu,logisticien breveté d’état-major (BEM)

Arrêté le 22 novembre 2012 dans l’enclave angolaise de Cabinda, le colonel ex-Forces armées zaïroises Kadate Lekumu et ses douze compagnons d’infortune – accusés de séjour illégal et de tentative de déstabilisation du régime de «Joseph Kabila» – pourraient être jugés dans «un délai de deux semaines».

C’est ce que croit savoir un proche du dossier dans un entretien avec Congo Indépendant. L’intéressé a préféré parler sous l’anonymat.

Huit mois. C’est le temps que le colonel logisticien, breveté d’état-major, Kadate Lekumu vient de totaliser dans une prison angolaise du territoire de Cabinda. Il n’est pas seul. Douze autres personnes d’origines congolaises sont impliquées» dans le même dossier.

Au départ, le groupe, en provenance du Congo-Brazzaville, a été accusé par les «services» angolais de violation des lois sur l’immigration. Autrement dit : «séjour illégal». L’infraction s’est par la suite muée en «poursuite d’activités subversives» ayant pour but de «déstabiliser» le régime de «Joseph Kabila». Seulement voilà, l’accusation n’a jamais pu démontrer la matérialité de cette charge. Les prévenus n’ont jamais été trouvés en possession d’armes de guerre. En dépit de cette évidence, les «treize» ont été brutalisés durant plusieurs semaines. C’est un euphémisme.

Durant ces huit mois, des responsables des «services» du Congo démocratique ont effectué plusieurs déplacements à Luanda et dans l’enclave. C’est le cas notamment de Kalev Mutond, le patron de l’ANR (Agence nationale de renseignements) et de Jean-Claude Yav, le chef de l’ex-Demiap (état-major de renseignements militaires). L’objectif paraît clair : obtenir l’extradition des prévenus. Les démarches n’ont pas abouti. D’abord, parce que les accusés sont titulaires des nationalités étrangères. «La nationalité congolaise est une et exclusive, énonce le premier alinéa de l’article 10 de la Constitution. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre». Ensuite, les autorités congolaises ont été «surprises» d’apprendre qu’une telle procédure nécessite l’existence en amont d’un traité d’extradition entre la République populaire d’Angola et l’ex-Zaïre.

Le procès

Selon ce «proche du dossier», l’ouverture du procès est prévue au cours de la première quinzaine du mois de septembre prochain. Avant de prononcer cette phrase, notre interlocuteur a confirmé la venue au Cabinda des barbouzes de la Sûreté congolaise : «Des agents de l’ANR sont venus demander l’extradition des détenus. N’ayant pas obtenu gain de cause, ils ont proposé aux autorités angolaises de les effacer purement et simplement». Que veut-il dire par «effacer» ? «Les prisonniers ont été torturés. A un moment donné, ils n’étaient plus présentables. Il fallait donc les faire disparaître. Par effacer, il s’agit de l’élimination physique ». Selon cette source, le colonel Kadate garde encore des stigmates des violences subies.

Une question demeure cependant : Quel est le chef d’inculpation ? En droit pénal, la qualification de l’infraction se fait au plus tard lors de la mise en mouvement de l’action publique. Quel en est l’intérêt ? Conformément au principe selon lequel «il n’y a pas de crime ni peine sans loi» – lequel renvoie à un souci de la légalité -, les autorités judiciaires doivent indiquer la base juridique de la poursuite. Logiquement, Kadate et consorts devraient être poursuivis pour «séjour illégal». Il semble bien qu’ils n’étaient pas en possession de visa de séjour en cours de validité. La justice africaine étant ce qu’elle est, il n’est pas exclu que les magistrats angolais ajoutent «autre chose».

«En fait, dit notre interlocuteur, l’Angola se considère en face des gens qui voulaient utiliser son territoire comme base de lancement d’une opération de déstabilisation du Congo-Kinshasa par l’attaque de la Base de Kitona. Sauf qu’il manque l’élément matériel. Aucun des accusés n’a été trouvé en possession d’armes». Il ajoute : «Le colonel Kadate souffre moralement. Il s’estime avoir été trahi…». La source se veut aussitôt optimiste. Pour elle, les treize accusés continuent à bénéficier de « la présomption d’innocence ». Et de souligner que « les autorités angolaises déploient un talent d’imagination pour trouver un stratagème destiné à «justifier» les brimades infligés à des prisonniers dont les droits les plus élémentaires ont été méconnus ».

« Le Traité de Nice »

L’affaire Kadate et consorts tire son origine dans le mystérieux «Traité de Nice» signé en janvier 2012 entre une organisation virtuelle dénommée «Conseil national Congolais» (CNC) et «le Collège des hospitaliers». Aux termes de cette convention, l’île de Mateba, située dans la province du Bas-Congo, devait être «concédée» au fameux «Collège des hospitaliers».

La famille Kadate est inconsolable. «C’est le colonel Lambert Tshishimbi qui avait associé mon père dans cette affaire de traité de Nice, confiait, à Congo Indépendant, Fatou Kadate, la fille du colonel. Depuis l’arrestation de mon père, le colonel Tshishimbi n’a jamais contacté notre famille pour nous donner les nouvelles de notre Papa». C’était en novembre dernier.

Le Traité de Nice avait deux volets : politique et militaire. La partie militaire était «pilotée» par le colonel Lambert Tshishimbi. Le colonel Kadate était son « assistant ». Le voyage au Cabinda avait, semble-t-il, pour objet d’examiner in situ la «faisabilité» des aspects militaires. Le sort en a décidé autrement. A Bruxelles, il n’est pas rare d’entendre de réflexions du genre : «Il est parfaitement faux de soutenir que le colonel Kadate et ses compagnons voulaient renverser le régime de Joseph Kabila. Le groupe n’était pas organisé comme unité combattante au moment de l’interpellation de ses membres au Cabinda.»

« Les autonomistes cabindais »

Le territoire de Cabinda, grand comme la moitié de la Belgique, est situé entre les deux Congo. La région est considérée comme « sensible » pour les dirigeants angolais. Administré séparément par le pouvoir colonial portugais, le Cabinda a été intégré dans l’Angola indépendant. Au grand dam de sa population issue des mêmes ethnies (Bayombe, Basundi, Bawoyo, Bakwakongo, Balindji, Bavili) existant dans les deux Congo. Pendant plusieurs décennies, un mouvement de libération « FLEC » (Front de libération de l’enclave de Cabinda) a donné l’insomnie au pouvoir angolais. Eclaté en plusieurs ailes dissidentes, le FLEC ne serait plus que l’ombre de lui-même.

Il se raconte que certains cadres politiques du FLEC ont été intégrés dans le gouvernement angolais. Les combattants auraient rejoint l’armée gouvernementale (FAPLA). Un nouveau mouvement a vu le jour. Il s’agit du MRPCS (Mouvement de rassemblement du peuple cabindais et de sa souveraineté). Il serait dirigé par un certain A.T. Carneiro. Il semble que le colonel Kadate et ses « amis » seraient soupçonnés d’avoir voulu passer un « deal » avec les « autonomistes cabindais ». Ici aussi, l’accusation peine à être démontrée…

B.A.W /Congoindépendant