Tchad: L’ex-président Hissène Habré condamné à la prison à vie

Tchad: L’ex-président Hissène Habré condamné à la prison à vie

habre_hisseneA Dakar, Hissène Habré est désormais fixé sur son sort. Vingt-cinq ans après sa chute, l’ancien président tchadien, jugé par un tribunal spécial, a été reconnu coupable de viols, mais également de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Ce lundi 30 mai 2016, les Chambres africaines extraordinaires l’ont condamné à la prison à vie.
Des cris de joie et des youyous ont envahi la salle du tribunal des Chambres africaines extraordinaires, après l’énoncé du verdict dans ce procès historique. Historique, car plus de 20 ans après les faits, c’est l’homme accusé d’avoir été à la tête d’un système de répression féroce qui était jugé.

Ce qui est reconnu ce lundi, c’est la responsabilité de Hissène Habré, président du Tchad de 1982 à 1990, dans ce système qui s’en est pris d’abord aux opposants ou ceux soupçonnés de l’être, puis à plusieurs communautés du sud du pays, accusées de façon indiscriminée de soutenir des rébellions contre son régime. Sans négliger les détails, le juge a fait la description de tout un système, lancé dès les semaines qui ont suivi la prise du pouvoir par la force de Hissène Habré en 1982.

Le grand ordonnateur

La Cour reconnait l’implication directe d’Hissène Habré dans le système répressif mis en place dont il est le grand ordonnateur. Pour la Cour, l’ancien président a concentré tous les pouvoirs et a créé un système où la terreur et l’impunité faisaient loi.

Le président de la Cour, Gberdao Gustave Kam : « Hissène a au minimum autorisé la mise en place des réseaux des prisons, la DDS y compris la construction de la piscine en 1987. Il s’est également assuré de son bon fonctionnement à travers la DDS. Hissène Habré donnait des ordres d’arrestation, de libération et d’exécution de prisonniers détenus dans les prisons de la DDS. Hissène Habré participait directement aux interrogatoires et aux séances de torture, parfois en infligeant lui-même des sévices ou en les ordonnant. »

Des énoncés nourris par les milliers de documents de l’instruction : 2 500 procès-verbaux d’audition et les archives de la Direction de la documentation et de la sécurité, la fameuse DDS, sur laquelle Hissène Habré avait, confirme le juge, la haute main. La DDS, avec plusieurs entités sécuritaires, fondait le régime Habré.

La Cour décrit encore comment, sous la houlette de la DDS, se sont multipliées les arrestations extrajudiciaires, les conditions de détention atroces et systématisées, la pratique de la torture, mais aussi du viol. La Cour, a dit le juge, « a été convaincue » par le témoignage de Khadija Hassan Zidane, qui avait affirmé pendant le procès avoir été violée par Hissène Habré lui-même.

Le résultat de 26 ans de lutte

Le président de la Cour, Gbertao Gustave Kam, n’a pris en compte aucune circonstance atténuante, notamment l’âge de l’accusé ou le fait qu’il est considéré comme un bon père de famille. Le président Kam et la Cour ont considéré que les circonstances aggravantes devaient entraîner cette condamnation à la perpétuité.

Dans le camp des parties civiles, c’est la joie qui domine, après plus de 26 ans de lutte judiciaire. Ce procès a été difficile à mettre en place, mais il s’est tenu. Et ce sont les larmes et les réjouissances de femmes, d’hommes, de victimes, qui ont été les plus marquantes après l’énoncé du verdict dans la salle d’audience.

Pour les trois avocats commis d’office qui ont défendu Hissène Habré, cette condamnation à perpétuité est trop lourde, trop dure. Elle n’est basée, affirment-ils, sur aucune preuve concrète. « Aucune preuve n’a été rapportée et nous, en tant qu’avocats de la défense, nous nous sommes évertuées à prouver l’innocence du président Habré, là où l’accusation a failli dans sa mission de prouver les faits. En conséquence, nous ne pouvions que nous attendre à un verdict d’acquittement. Celui d’aujourd’hui, qui est un verdict de condamnation extrêmement sévère, nous a surpris. Quand on est condamné dans des conditions comme celles-là, la décision ne peut pas plaire », a déclaré juste après l’énoncé du verdict maître Mbaye Sène, l’un des avocats du condamné.

Hissène Habré est resté, lui, complètement impassible. Le président Kam a donné quinze jours à partir de l’énoncé de ce verdict pour que ses avocats commis d’office fassent appel. Il faudra voir, dès ce lundi, s’ils lancent cette procédure qui amènerait à un nouveau procès devant ces Chambres africaines extraordinaires.

Hissène Habré, la Chambre vous condamne à la peine d’emprisonnement à perpétuité.
Pendant 1h20, le juge Gustave Kam lit le résumé du verdict et replonge l’assistance dans l’horreur du régime Habré

Qui est Hissène Habré

Né en 1942 à Faya-Largeau (nord), il grandit dans le désert du Djourab, au milieu de bergers nomades. Intelligent, il est remarqué par ses maîtres. Il part étudier en France avant de regagner le Tchad. A partir de 1974, il se fait connaître à l’étranger en retenant en otage – durant trois ans – l’ethnologue française Françoise Claustre, obligeant la France à négocier avec la rébellion.

Hissène Habré qui s’est emparé du pouvoir par les armes en 1982, est devenu rapidement un bourreau implacable, architecte d’une répression terrible qui marquera les huit années de son règne. Lors de son procès à Dakar, l’ex-président a été qualifié de «véritable chef de service» de l’appareil de répression par le procureur spécial Mbacké Fall. «Combattant du désert», «homme des maquis», «chef de guerre» : les qualificatifs abondent pour décrire les qualités militaires de Hissène Habré aux traits et au regard acérés, resté silencieux et impassible pendant toute la durée des audiences, hormis pour récuser le tribunal et ses avocats. Après l’énoncé du verdict, l’accusé, en turban et boubou blancs, lunettes noires, demeuré imperturbable depuis l’ouverture de l’audience, a levé les bras en saluant ses partisans et crié: «A bas la Françafrique!»

Auparavant, le juge avait expliqué que le tribunal «a été convaincu» par le témoignage de Khadija Hassan Zidane, qui a affirmé pendant le procès avoir été violée par Hissène Habré. Le juge a fait état de «rapports sexuels non consentis à trois reprises et d’un rapport buccal non consenti» imposée à Mme Zidane par M. Habré.

Le procès s’est ouvert en juillet 2015. Selon les organisations de défense des droits de l’homme, les crimes de guerre et de torture ont fait quelque 40 000 morts sous la dictature de Hissène Habré (1982-1990). Renversé, il avait trouvé refuge à Dakar où, pendant vingt ans, il a coulé un exil paisible. Au Sénégal, il a troqué treillis et casquette kaki pour un grand boubou blanc, avant d’être arrêté en juin 2013. Celui qui est né dans le désert avant de faire ses études à Sciences-Po Paris a alors été placé en détention provisoire. Une geôle qu’il n’a pas quittée depuis.

«La condamnation de Hissène Habré pour ses crimes atroces 25 ans plus tard représente une immense victoire pour les victimes tchadiennes», s’est fécilité Reed Brody de Human Rights Watch ajoutant que «l’époque où les tyrans pouvaient brutaliser leur peuple puis s’enfuir à l’étranger pour profiter d’une vie de luxe touche à sa fin».

VIDEO. Portrait de l’ancien président tchadien Hissène Habré

Avec Rfi et Afp