RDC: Incendie de l’entrepôt de la Ceni à Kinshasa, le témoignage qui accuse le pouvoir

RDC: Incendie de l’entrepôt de la Ceni à Kinshasa, le témoignage qui accuse le pouvoir

Après maintes recherches et une bonne dose de chance, nous avons pu retrouver celui qui était le chef de poste qui a quitté le continent africain depuis cette date. Dans un entretien avec ce dernier, un homme débrouillard et lucide, le chef de poste apporte un temoignage accablant qui accuse le pouvoir en place.

Le jeudi 13 décembre sur le coup de 2 heures du  matin, un incendie embrase le dépôt de la Ceni situé sur l’avenue du Haut Commandement. Le bilan chiffré arrive très vite. Près de 8000 machines à voter sont détruites et un peu plus de 2000 sauvées. Un état des lieux précis et rapide qui pose question. Le jour même, sans la moindre enquête, le ministre de la Communication Lambert Mende, pointe un doigt accusateur en direction de Martin Fayulu, le candidat de Lamuka qui vole de succès en succès et qui ébranle visiblement les certitudes du pouvoir quant à l’issue du scrutin.

Les rumeurs commencent à se répandre, et sont toujours vivaces aujourd’hui. Le pouvoir plancherait sur une inculpation du candidat Fayulu pour cet incendie… L’opposition, elle, réclame une enquête internationale indépendante pour connaître l’origine de ce sinistre et, par la même occasion, le contenu de cet entrepôt. En effet, malgré les chiffres d’une précision digne de la Nasa sur les machines endommagées et celles qui ont pu être sauvées, aucun témoin n’a été autorisé à voir cette montagne de machines à voter détruites par les flammes.

Pourtant, une semaine jour pour jour après cet incendie, Corneille Nangaa utilisera l’argument de ce qu’il qualifie de « malheureux incident » et la destruction des machines et des bulletins de vote pour justifier le report d’une semaine du scrutin. Depuis le 12 décembre, tous ceux qui connaissent un tantinet Kinshasa s’étonnent qu’un pareil incendie ait pu se développer sur une des avenues les plus sécurisées de la capitale, non loin du QG de Tango 4, du camp militaire Kokolo et des services d’incendie de la Monusco. Sans oublier que cet entrepôt devait certainement être sous la surveillance de gardiens qui ne se sont jamais exprimés.

Et pour cause… Après maintes recherches et une bonne dose de chance, nous avons pu retrouver le chef de poste qui a quitté le continent africain depuis cette date. Entretien avec un homme débrouillard et lucide.

Fayulu accuse le pouvoir de tout faire pour reporter les élections

Vous étiez de garde à l’entrepôt de la Ceni dans la nuit du 12 au 13 décembre dernier ? 

Oui, tout à fait. J’étais chef de poste et j’étais avec huit hommes. Habituellement, nous sommes onze mais cette nuit-là, comme ça arrive très régulièrement, deux de mes hommes étaient absents. Des absences justifiées.

Comment le feu a-t-il pris ? 

Je l’ignore. Sur le coup de 23h40, le colonel Gaga de la Demiap a débarqué avec un major et des hommes de la garde républicaine. Il a expliqué que nous devions quitter les lieux parce que le président de la république allait bientôt arriver pour visiter l’entrepôt. L’heure était tardive mais chez nous tout est possible. Le colonel a placé des hommes de la garde républicaine  dans la parcelle de l’entrepôt avant de nous faire monter dans deux jeeps Land Cruiser direction le camp Kokolo situé juste à côté.

Et ensuite ?

Nous sommes descendus des véhicules au camp kokolo, le QG de la force terrestre. Un officier de garde est venu à la rencontre du colonel. celui-ci a expliqué que nous devions rester un certain temps dans le camp et qu’il viendrait rapidement nous rechercher.

C’est ce qu’il a fait ? 

Je l’ignore. Il était à peine parti quand il a rappelé l’officier d’ordonnance pour lui dire  : « les gens qui sont là ne doivent pas bouger jusqu’à ce qu’on vienne les chercher. Comme il parlait fort et que j’étais à côté de l’officier, j’ai entendu la conversation. Je suis policier aujourd’hui, j’ai le grade d’adjudant, mais j’ai une formation militaire et quand j’entends des mots comme ceux-là, je me dis que ce n’est pas bon et qu’on pourrait être arrêté sans que je comprenne pourquoi. Comme je connais bien ce camp Kokolo, j’ai pu me débrouiller pour fausser compagnie aux gardiens. J’ai appelé un ami pour qu’il vienne me chercher. Je suis resté caché jusqu’à sa venue puis j’ai fui le camp.

Vous saviez l’entrepôt était en feu ? 

Pas du tout, après avoir fui, je me sus dit que j’avais peut-être fait une bêtise. Ensuite, l’ami qui m’héberge m’a montré un peu de fumée au loin. Un camionneur nous a dit que c’était un entrepôt de la Ceni. Là, je me suis dit directement que c’était très dangereux et que tout le show de la Demiap était une mise en scène pour pouvoir bouter le feu et chercher un ou des responsables. J’ai cassé ma carte Sim et jeté mon téléphone pour ne pas prendre de risque. J’ai immédiatement ramassé ce que je pouvais et je suis parti.

Vous savez ce que sont devenus  vos collègues ? 

Pas du tout. Je crains le pire pour eux, le régime a l’habitude de ne pas laisser de traces derrière lui et le colonel de la Demiap est loin d’être un saint, c’est lui qui était le commandant des opérations au Kasaï lors des massacres dans le dossier des Kamwina Nsapu.

Vos accusations sont graves !

Ce ne sont pas mes mots qui sont dures mais bien l’attitude de ces militaires proches du Kabila. je peux prouver ce que je vous dis. Vous savez comment on a coincé l’assassin de Chebeya ?  Ils ont « borné » son appareil pour découvrir qu’il avait appelé maintes fois Chebeya. Les bornes des compagnies téléphoniques enregistrent tout ce qui passe dans un certain rayon. Nos autorités peuvent exiger, si elles le veulent, que les opérateurs téléphoniques lui fassent parvenir l’activité de la borne qui se trouve à proximité de notre entrepôt. On ne peut pas tricher avec ce relevé des données. Vous constaterez que le colonel Gaga a activé la borne de notre camp vers 23 h 40 et celle du camp Kokolo dix minutes plus tard.

Qu’est-ce qu’il y a dans l’entrepôt ?

Du vieux matériel des précédentes élections. Pas de machine à voter.

Comment expliquez-vous que le service incendie  de la Monusco, qui se trouve à quelques mètres, ne soit pas intervenu pour tenter d’éteindre le feu.

Je n’ai pas assisté à la scène mais on m’a raconté que le camion a tenté d’intervenir mais en a été empêché par des hommes de la garde républicaine qui lui ont  intimé l’ordre de faire demi-tour.

(Avec La Libre Afrique)