Le député Clément Kanku impliqué dans «l’affaire Kamwina Nsapu et meurtres des experts de l’ONU»

Le député Clément Kanku impliqué dans «l’affaire Kamwina Nsapu et meurtres des experts de l’ONU»
Clément Kanku, député de Dibaya et ancien ministre du développement du gouvernement Badibanga

Un enregistrement sonore fait grand bruit en RDC. On y entend une supposée conversation entre Clément Kanku, député de la région, et ancien ministre, avec un présumé milicien Kamuina Nsapu qui l’informe sur les détails d’une attaque en cours. C’est le New York Times qui a révélé dimanche 21 mai l’existence de cet enregistrement qui se trouvait dans l’ordinateur de Zaida Catalan, l’experte de l’ONU tuée en mars dernier avec son confrère Michael Sharp. Un enregistrement diffusé massivement sur les réseaux sociaux dans la foulée.
Selon nos informations, l’enregistrement remonte au 8 août dernier, c’est-à-dire avant la mort du Kamuina Nsapu et les massacres de grande ampleur qui s’en sont suivi. Par ailleurs, l’existence de ces fichiers audio était connue par les autorités, puisque toujours selon nos informations, il s’agit d’écoutes réalisées par les services congolais de renseignements. Quelques jours après leur enregistrement, le député Clément Kanku a même dû s’en expliquer devant témoins à la demande du ministre de l’Intérieur Evariste Boshab.

Ces fichiers audio contiennent deux conversations téléphoniques en langue Thisluba dans lesquelles on entend un milicien, ou supposé tel, qui est en train de rapporter à Clément Kanku, les actes de violence auquel il vient de se livrer. « On a brulé Tshimbulu », explique ce supposé milicien. « C’est bon qu’on brûle tout », répond Clément Kanku dans la première conversation.

La redaction de Bakolokongo a reussi d’obtenir l’enregistrement sonore qu’elle met a la disposition de ses lecteurs.

Voici la teneur de la conversation en Tshiluba traduite fidèlement par Bakolokongo.com:

Informateur : Honorable, on vient juste de brûler la ville de Tshimbulu

Voix présumée de Kanku : qui est à l’appareil ?

Informateur : C’est Constantin Tshiboko

Voix présumée de Kanku : ok, c’est bien. A-t-on tout brûlé ?

Informateur: Oui, c’est le bureau de la Ceni qu’on va incendier maintenant.

Voix présumée de Kanku : C’est une bonne chose. C’est ce qu’il leur avait promis. Ils ont tout fait tel que promis, non ?

Informateur : Oui, ils continuent. Ils vont maintenant ouvrir la prison de Tshimbulu…, plutôt, de Dibaya.

Voix présumée de Kanku : c’est une bonne nouvelle. Tiens-moi au courant [de la situation].

Informateur : Sans aucun problème. Je vous donnerai toutes les informations.

Voix présumée de Kanku : Merci.

Puis, dans une deuxième conversation, on entend les deux mêmes voix.

Informateur: Allo, Honorable !

Voix présumée de Kanku : Oui, Constantin. Tu m’avais appelé ?

Informateur : Oui, je vous appelais pour vous informer qu’on a terminé l’opération sur tous les bureaux. On a ouvert la prison maintenant. Tout le monde [prisonniers] est sorti. On a tué 6 policiers. Puis on a tué deux éléments de Kamwina Nsapu.

Voix présumée de Kanku : Hum…

Informateur : ils ont tué le garde du corps du Colonel Bass. C’est comme si le colonel est dans sa maison. Ils veulent mettre le feu pour le brûler dedans.

Voix présumée de Kanku : ils ont tué le garde du corps ?

Informateur : oui, ils l’ont tué…ils en ont tué un, puis, un deuxième. Il reste maintenant à mettre le feu sur la maison…Il leur manque de l’essence. Ils sont en train de terroriser les habitants pour avoir de l’essence et finir l’opération…

L’informateur poursuit d’un ton remonté : Mais, chef, [comment voulez-vous], Kabila se joue de nous. Avez-vous entendu ce qu’il est allé dire en Ouganda [ Ndlr, lors de sa visite en Ouganda le 4 Août 2016, le chef de l’État avait déclaré que les élections ne se tiendraient qu’une fois la révision du fichier électoral terminé, provoquant un tollé] … A-t-il de la considération pour nous ?

Voix présumée de Kanku : Ah, ils sont toujours comme ça…

Informateur : chef, tout ce qui me manque ici, ce sont les unités pour vous appeler et vous donner les informations.

La voix présumée de l’ex ministre met fin à l’entretien téléphonique en promettant de « voir ça ».

Selon le New York Times, Zaida Catalan avait conservé sur son ordinateur 130 fichiers sous le nom de Clément Kanku.

Voilà un enregistrement qui va relancer le débat sur les auteurs des massacres et de l’assassinat de deux agents de l’Onu dans le Kasaï. Dans un récent rapport, l’ONU avait relevé que le conflit qui s’est déclenché en Août 2016 était alimenté par des leaders originaires de la région.

Zaida Catalan enquêtait sur le rôle présumé de Clément Kanku. Député et ancien ministre, Kanku fut également vice-gouverneur du Kasaï Occidental pendant la transition du schéma 1+4.

Nommé dans le gouvernement Badibanga

Dans la seconde, il est question cette fois du meurtre d’un officier et de ses gardes du corps. A ce propos Clément Kanku demande des détails, mais n’acquiesce pas. Il ne donne aucune indication sur son approbation ou non de cet assassinat. L’attaque à laquelle il est fait référence fera officiellement neuf morts. Cet enregistrement fait donc état de l’implication de ce député dans les violences qui ont eu lieu début août dans les Kasaï.

On ignore quelles explications Clément Kanku a donné aux autorités mais cela ne l’a pas empêché en décembre de rejoindre le gouvernement de Sami Badibanga, jusqu’à la démission de ce dernier. Joint par RFI, Clément Kanku n’a pas donné suite pour le moment à nos demandes d’entretien.

L’affaire Clément Kanku s’emballe

Au lendemain de la publication d’enregistrements en RDC qui mettent en cause le député et ancien ministre Clément Kanku dans les violences qui secouent les Kasaï depuis des mois, la justice congolaise s’est saisie de l’affaire. Le procureur général de la République a annoncé, mardi 23 mai, l’ouverture d’une enquête pré-juridictionnelle. Clément Kanku, lui, se dit prêt à collaborer avec la justice.
En cause, deux enregistrements d’écoutes téléphoniques : dans ces fichiers audio, qui ont circulé sur les réseaux sociaux, on entend une conversation entre Clément Kanku, député de la région du Kasaï, et un présumé milicien, Kamwina Nsapu, sur une attaque en cours en août 2016. Le député semble se réjouir notamment que la localité de Tshimbulu ait été brûlée par les miliciens. Une attaque qui a fait officiellement neuf morts.

Quel rôle Clément Kanku a joué dans cette attaque et dans l’insurrection des adeptes du chef coutumier, Kamwina Nsapu ? Le procureur général de la République, Flory Kabange Numbi, a promis d’ouvrir une enquête pour répondre à ces questions : « J’ai donc adressé une lettre au président de l’Assemblée nationale pour me permettre de conduire des indispensables enquêtes dans cette sinistre affaire. Une fois cette autorisation préalable obtenue, je serai en droit de poser tous les actes qu’exige une instruction pré-juridictionnelle. »

Lié à l’affaire des deux experts de l’ONU ?

Clément Kanku, lui, dit être à la disposition de la justice. Il rejette toutes les accusations portées contre lui, et notamment le lien qui a été fait par le quotidien New York Times entre sa personne et l’assassinat début mars des deux experts de l’ONU, l’Américain Michael Sharp et la Suédo-chilienne Zaida Catalan (missionnés au Kasaï par le secrétaire général des Nations unies pour enquêter sur ces violences), du fait de la présence de ces enregistrements audio sur l’ordinateur de l’une des expertes, Zaida Catalan. « Je suis consterné par ces allégations d’implication dans des actions criminelles et je les réfute totalement. Je suis convaincu que toute la lumière sera faite dans cette affaire et je suis convaincu que justice sera rendue aux nombreuses victimes d’exactions abominables, y compris des deux experts des Nations unies », a affirmé Clément Kanku.

Pas d’explications devant la presse

Si les faits reprochés à Clément Kanku devaient être établis, il pourrait être inculpé de « participation à un mouvement insurrectionnel » et « assassinat », a prévenu le procureur. Dans l’immédiat, la police a empêché que le député de l’opposition s’explique devant la presse, officiellement faute d’autorisation de la ville de Kinshasa.


Les médias s’en saisissent pour décortiquer

Les médias du continent s’interrogent à l’instar du site congolais Cas-Info : « Clément Kanku, député et ministre du Développement du récent gouvernement Badibanga, s’est-il compromis dans les meurtres au Kasaï ? Le journal américain, le New York Times, a révélé ce week-end des enregistrements accablants mettant en cause le député de Dibaya. Dans ces enregistrements trouvés sur l’ordinateur de Zaida Catalan — la jeune humanitaire de l’ONU tuée en mars dernier avec son collègue américain Michael Sharp — une voix présentée comme celle de Clément Kanku reçoit un rapport d’un présumé milicien sur les tueries à Tshimbulu. La conversation se déroule en Tshiluba. »

Alors, précise Jeune Afrique, « on peut en effet entendre une voix supposée être celle de Clément Kanku s’enquérir de la situation dans le chef-lieu du territoire de Dibaya. “Nous avons brûlé Tshimbulu”, lui dit son interlocuteur, un milicien local présumé. “C’est une bonne nouvelle”, lâche au bout du fil l’élu de la région. Dans les échanges entre les deux hommes, relate encore Jeune Afrique, il est également question de l’attaque ciblée contre un officier de l’armée et ses gardes du corps mais aussi de l’assaut contre les installations de la Commission électorale nationale indépendante et contre la maison d’arrêt du village. »

Cultiver le chaos ?

En outre, précise le site d’information Afrikarabia, « Clément Kanku savait que Zaida Catalan possédait ces enregistrements. Ils devaient en discuter ensemble après le voyage en brousse de la jeune enquêtrice de l’ONU… Voyage dont elle n’est jamais revenue. »

Alors, s’interroge Afrikarabia, « Joseph Kabila avait-il nommé Kanku pour stopper l’insurrection ou instrumentaliser et manipuler les miliciens Kamuina Nsapu ? Force est de constater que Kanku a échoué. Mais en jouant ainsi avec le feu, le pouvoir a réussi au moins le principal, pointe Afrikarabia : cultiver le chaos pour empêcher la tenue des élections et espérer pouvoir organiser un référendum pour présenter une nouvelle candidature de Joseph Kabila. »

Du côté du député incriminé et des autorités congolaises, silence pour l’instant…
En tout cas, s’interroge L’Observateur Paalga au Burkina, « Kinshasa a-t-il jusque-là choisi de couvrir l’élu du Kasaï pour quelque obscur service rendu ? […] Les Congolais attendent avec impatience de savoir ce que le député pourra bien dire pour sa défense au cours de la conférence de presse qu’il devrait donner dans le courant de la journée. Quand on sait que l’intéressé devait répliquer depuis hier et qu’il s’était rendu injoignable, on se demande si ce rendez-vous-là sera respecté. »

Le quotidien Aujourd’hui, toujours au Burkina, reste perplexe… « Clément Kanku agissait-il seul ou était-ce au nom de l’Etat ? Quel était l’objet du lien entre un ministre de la République et des rebelles ? Va-t-on verser ces écoutes dans le dossier concernant l’assassinat des deux experts onusiens ? La situation au Kasaï a-t-elle été provoquée à dessein pour détourner l’attention des Congolais et de la communauté internationale, sur l’essentiel, méthode éprouvée dans les démocratures ? »

Scabreuse affaire…

« Et si Kabila était à la manœuvre ? », s’interroge en écho Ledjely.com en Guinée. « En quoi le gouvernement congolais et par ricochet le président de la République seraient-ils mêlés à cette sordide affaire ? […] A ces questions, il n’y a qu’une seule réponse, estime Ledjely.com. Celle qui voudrait que Clément Kanku était au service du pouvoir congolais et qu’au nom de ce dernier, il a suscité les violences dans le Kasaï. Le scénario était manifestement de provoquer d’une part le soulèvement des miliciens de Kamuina Nsapu, et d’autre part, de pousser les troupes congolaises à réprimer dans le tas. Le résultat recherché étant que la violence s’impose comme un fait incontestable. Ainsi, espéraient les autorités congolaises, il devenait plus facile de faire passer l’idée d’un nouveau report des élections. Et c’est à se demander si l’experte onusienne, Zaida Catalan et son collègue, Michael Sharp, n’ont pas été victimes de cette scabreuse affaire. Conscients de l’effet explosif qui résulterait de la divulgation de l’enregistrement, leurs assassins et les éventuels commanditaires ont essayé d’étouffer l’affaire en supprimant ceux qui étaient susceptibles de la rendre publique. Eh bien, conclut Ledjely.com, ils les auront tués pour rien. »

Bakolokongo avec Rfi