Grèce: grève générale de 24 heures après la fermeture de la radiotélévision publique

grece-greve ert
Des milliers de manifestants jeudi après-midi devant le siège de la radiotélévision publique ERT à Athènes

Grève générale, confusion politique sur fonds de rumeurs d’élections, chahuts au Parlement européen : la Grèce est de retour à la Une des médias. Le premier ministre conservateur avait réussi à apaiser les tensions et les discours caricaturaux sur la Grèce. Il les a fait ressurgir en coupant brutalement les antennes de l’audiovisuel public, mardi 12 juin, suscitant un tollé en Grèce et en Europe.

.

A Athènes, les syndicats ont appelé à la grève générale, jeudi 13 juin, laissant à nouveau le pays sans transport. Sur le plan politique, la situation est confuse. Le Pasok et la Gauche démocratique, membres de la coalition gouvernementale, appellent le gouvernement au compromis, et plaident pour une réforme en profondeur de l’audiovisuel public. Mais ils insistent sur le fait que les négociations devraient avoir lieu avec une « ERT (radio télévision grecque) ouverte ».

Le président du Pasok, Evangélos Vénizélos a dénoncé « une ambiance de crise politique et institutionnelle », et demandé au Premier ministre de « sauvegarder l’unité et l’avenir politique du pays ». M. Samaras reste droit dans ses bottes et défend sa décision, pour que la Grèce ne soit plus « un Jurassic Park, le seul endroit sur terre où les dinosaures ont survécu ».

Au lendemain de la coupure des antennes, le porte-parole du gouvernement, Simos Kediloglou, a annoncé pour fin août la création d’une nouvelle structure de l’audiovisuel public, avec 1 200 employés au lieu de 2 600 aujourd’hui et un budget de 100 millions d’euros, au lieu de 300. Le plan reprend des éléments du projet du gouvernement socialiste de Georges Papandréou, qui avait suscité l’opposition des syndicats de ERT et … de Nouvelle démocratie.

BASTION DE LA GAUCHE

Les rapports de M. Samaras avec la ERT, considérée comme un bastion de la gauche – même si Nouvelle Démocratie y a placé aussi ses affidés politiques – sont mauvais. A l’automne, deux présentateurs ont été limogés car le gouvernement n’avait pas apprécié un sujet sur la police et le ministre de l’intérieur, Nikos Dendias. Le premier ministre n’avait pas aimé non plus les grèves à répétition, et notamment le jour de la visite de François Hollande à Athènes.

Les Européens, soupçonnés d’avoir encouragé la décision gouvernementale, sont gênés aux entournures. Prudence stratégique ou volonté d’éviter, en retour, toute accusation quant à son éventuelle responsabilité dans les événements survenus mercredi soir ? La Commission européenne, habituellement prompte à rappeler les valeurs de l’Union et, parmi elles, la nécessaire liberté des médias dans le monde, a affiché une grande réserve, jeudi. Dans une réaction tardive, elle a « pris acte » de la décision du gouvernement grec et souligné qu’il avait agi « en toute indépendance », « de façon pleinement autonome ». Il s’agissait manifestement, dans l’esprit de l’exécutif bruxellois, de couper court aux informations selon lesquelles la fermeture des émetteurs d’ERT aurait, en réalité, été réclamée par la « troïka » (Commission européenne, Fonds monétaire international, Banque centrale européenne), et donc par le représentant de la Commission.

La Commission invite de son côté à apprécier les événements de mercredi dans le contexte d’efforts « considérables et nécessaires » pour moderniser l’économie hellénique. Bruxelles, qui certifie ne pas avoir été mis au courant préalablement, aurait-il dissuadé la gouvernement Samaras s’il l’avait informé ? « La question n’est pas en discussion », a répondu un porte-parole. « Nous n’avons pas demandé la fermeture mais nous ne remettons pas en cause le mandat du gouvernement grec à gérer le service public », a-t-il répété à plusieurs reprises.

Gommée, également, la question sur le fait que chaque Etat-membre, conformément aux règles de l’Union, doit être doté d’un système de radio-diffusion. Bruxelles s’en tient aux promesses d’un redémarrage rapide d’une nouvelle société publique. A Strasbourg, le commissaire aux affaires économiques et financières, Olli Rehn, a été chahuté lorsqu’il a affirmé que Bruxelles n’avait pas exigé la fermeture des émetteurs, la Commission estimant que chaque pays a besoin de médias « pluriels, libres et de qualité ».

Dans les couloirs du Parlement européen, certains élus se demandaient quelle aurait été la réaction de la Commission si la fermeture de chaînes privées était, demain, ordonnée dans un pays. La troïka demande avec insistance au gouvernement de supprimer des emplois publics et de restructurer les entreprises d’Etat, y compris l’audiovisuel, qu’elle – et certains diplomates européens – considère comme un concentré des maux de la Grèce : clientélisme, inefficacité, gâchis, corruption, etc.

Tout en insistant sur le fait qu’ils ne sont pas à l’origine de la décision, ils observent avec intérêt et inquiétude l’évolution du pari de Samaras. Si ça passe, le premier ministre aura montré sa capacité à endosser les habits de réformateur. Si ça casse, il risque d’entraîner le pays dans une nouvelle période d’instabilité électorale, ce que les Européens veulent éviter.

Nouvelle Démocratie est en tête dans les sondages, mais la Gauche radicale du Syriza n’est pas loin derrière et surtout, le troisième parti du pays a de bonnes chances d’être le parti néo-nazi, Aube dorée. La Grèce redeviendrait alors le pire cauchemar de l’Europe.