Turquie: le Parlement européen demande le gel des négociations d’adhésion

Turquie: le Parlement européen demande le gel des négociations d’adhésion

Le Parlement dénonce une « répression disproportionnée » depuis la tentative de coup d’État. Ankara rejette une résolution « nulle et non avenue ».

Le Parlement européen a demandé jeudi le gel des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne en raison de la répression « disproportionnée » en cours depuis le coup d’État avorté de juillet, au risque d’attiser les tensions entre Ankara et Bruxelles. Dans une résolution non contraignante adoptée à une très large majorité à Strasbourg, les eurodéputés ont appelé à « un gel temporaire » du processus d’adhésion entamé en 2005. Le texte – soutenu par les quatre principaux groupes au Parlement, conservateurs, socialistes, libéraux et Verts – a été approuvé par 479 voix pour, 37 contre et 107 abstentions. « C’est une grande et première victoire avant d’obtenir plus », ont réagi les eurodéputés conservateurs français Philippe Juvin et Arnaud Danjean (LR) dans un communiqué. « La Turquie doit être un partenaire stratégique de l’UE, mais elle ne doit pas en être membre », ont-ils estimé.

Ankara a rejeté cette résolution, considérée comme « nulle et non avenue ». La délégation turque auprès de l’Union européenne à Bruxelles a immédiatement condamné l’appel des députés européens, dénonçant « un manque de vision ».

La Turquie « n’affiche plus la volonté de coopérer »

Anticipant le vote, le président turc Recep Tayyip Erdogan avait estimé mercredi qu’il était « sans valeur, quel qu’en soit le résultat », même s’il est seulement consultatif. La décision de suspendre le processus d’adhésion appartient en effet aux États membres. Selon la résolution du Parlement, « les mesures répressives prises par le gouvernement turc dans le cadre de l’état d’urgence sont disproportionnées, attentent aux droits et libertés fondamentaux consacrés dans la Constitution turque » et aux « valeurs démocratiques fondamentales de l’Union européenne ».

Tout en reconnaissant qu’Ankara est « un partenaire important » de l’Union, la résolution affirme que la Turquie n’affiche plus « la volonté politique » de coopérer, « les actions de son gouvernement la détournant encore plus de sa voie européenne ». En outre, les eurodéputés avertissent que « le rétablissement de la peine capitale par le gouvernement turc devrait entraîner une suspension officielle du processus d’adhésion ». « Prétendre que les négociations d’accession peuvent continuer dans de telles circonstances revient à tromper nos citoyens et à trahir les citoyens turcs », avait jugé mardi le chef des libéraux européens, l’ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt.

L’UE dénonce un retour en arrière de la Turquie

Dans un rapport publié la semaine dernière, et rejeté par Ankara, la Commission européenne avait critiqué le « retour en arrière » de la Turquie sur les critères d’adhésion au bloc européen, en particulier en ce qui concerne la liberté d’expression et l’État de droit. Arrestations, suspensions, limogeages par dizaines de milliers : depuis le putsch manqué de la mi-juillet, les autorités turques ont lancé de vastes purges dont l’ampleur a suscité l’inquiétude et des critiques de la part des partenaires occidentaux de la Turquie, membre historique de l’Otan. Toutefois, la majeure partie des États membres de l’Union européenne – tout comme la chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini – sont opposés à un arrêt des négociations avec la Turquie en dépit du fossé qui se creuse de plus en plus avec Ankara.

Lors d’un débat précédant le vote, mardi, Federica Mogherini avait appelé à « garder les canaux (de communication) ouverts » avec la Turquie. Pour elle, « tout le monde » serait perdant en cas de gel des négociations d’adhésion. Certains dirigeants européens craignent en particulier que le régime turc ne renonce à appliquer l’accord sur les migrants signé en mars dernier avec l’Union et cesse de bloquer les flux de réfugiés qui tentent d’atteindre l’Europe. La Turquie compte sur son sol 2,7 millions de réfugiés syriens. En contrepartie du pacte migratoire, le gouvernement turc réclame que ses ressortissants soient exemptés de visas pour se rendre dans l’espace Schengen, et menace de rompre l’accord avec l’Union européenne si ce dossier n’avance pas. Mais les eurodéputés lui ont opposé une fin de non-recevoir, relevant qu’à ce jour « la Turquie ne remplit pas 7 des 72 critères fixés dans la feuille de route sur la libéralisation du régime des visas ». Très irrité, le président Erdogan a d’ores et déjà prévenu qu’il organiserait un référendum sur le processus d’adhésion à l’Union européenne si aucune décision n’était prise par Bruxelles d’ici « la fin de l’année » quant à la suite des négociations.

Le Point