Report du scrutin à Beni, Butembo et Yumbi: la coalition«Lamuka» appelle à une journée « ville morte » le 28 décembre
A trois jours des élections prévues dimanche 30 décembre, la coalition Lamuka, soutenant le candidat Martin Fayulu, a appelé à une journée « ville morte » dans tout le pays, le vendredi 28 décembre, pour protester contre un nouveau report partiel du scrutin du 30 décembre qui concerne plus d’un million d’électeurs sur 40, à Beni, Butembo et Yumbi.
Avec sa décision, la Commission électorale nationale indépendante (Céni) « vient de dépasser une ligne rouge », déclare la coalition « Lamuka » (« réveille-toi » en lingala) soutenue par deux poids lourds de l’opposition au président Joseph Kabila, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba.
La coalition « exige que la commission électorale retire instamment cette décision injustifiée et organise des élections sur toute l’étendue de la RDC sans aucune discrimination », a-t-elle communiqué à la presse.
Pas question pour autant de boycott, a précisé son directeur de campagne, Pierre Lumbi: « Nous irons aux élections parce que c’est un droit et un devoir que nous donne la Constitution ».
Comment protester contre le report partiel annoncé par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), sans boycotter le scrutin ni se rendre responsable de violences ? Pour résoudre cette délicate équation, il aura fallu près de 24 heures à la coalition Lamuka, qui soutient le candidat d’opposition Martin Fayulu.
Mercredi 26 décembre, au petit matin, la Ceni avait en effet pris la décision d’annuler le scrutin présidentiel dans les circonscriptions de Beni, Béni-ville, Butembo et Yumbi, citant l’épidémie d’Ebola et les violences intercommunautaires, qui sévissent dans ces régions. Leurs électeurs ne devraient prendre part qu’aux législatives et aux provinciales en mars prochain.
Un report « injustifié », selon Pierre Lumbi
Après plusieurs reports et quelques tiraillements internes, le directeur de campagne de Lamuka, Pierre Lumbi, a fini par s’exprimer devant la presse à Kinshasa, jeudi 27 décembre. Au nom de la coalition, il a appelé à une « journée ville morte » vendredi 28 décembre. La coalition exige que la Ceni « retire instamment » ce report « injustifié » et en appelle à l’ONU, l’UE, l’UA, la SADC et la CIRGL « pour qu’elles obtiennent de la Ceni la levée de cette décision susceptible de fragiliser l’ordre et la stabilité dans la sous-région de l’Afrique centrale ».
« Aucune loi ne donne compétence ni qualité à la Ceni de priver une partie de la population congolaise de son droit élémentaire et souverain », a estimé Pierre Lumbi. « La campagne électorale vient juste de s’y dérouler, drainant les foules, sans qu’une quelconque mesure d’interdiction n’ait été prise […] Nous tenons à rappeler à la Céni que cette épidémie touche au-delà de ces circonscriptions et sévit aujourd’hui dans les territoires de Mambasa, Irumu et même dans la ville de Bunia », a-t-il ajouté.
Dans une interview à Jeune Afrique, la chef de la Mission de l’ONU en RDC (Monusco), Leila Zerrougui, avait pour sa part « regretté qu’une partie de la RDC soit dans l’impossibilité de voter », mais dit poursuivre son « travail afin de calmer les esprits ».
Le secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), l’abbé Donatien Nshole, avait été plus direct, dénonçant une décision « très grave » et « curieuse », et soupçonnait un « agenda caché » de la Ceni.
De son côté, l’UDPS, du candidat Félix Tshisekedi, a décidé d’aller aux élections, même sans vote dans les circonscriptions incriminées.
La majorité présidentielle a pour sa part dit « comprendre » la « décision de report » et exhorté « les populations congolaises à attendre dans la sérénité le jour du vote ».
« Illégal », « inacceptable »…: l’opposition affirme que la Céni exclut du vote des bastions anti-président Kabila.
Le ministre de l’Intérieur Henri Mova avait demandé au président de la Céni Corneille Nangaa de tenir compte du contexte « sanitaire et sécuritaire » à Beni dans l’organisation des élections.
« La décision de la commission électorale est inconstitutionnelle », a déclaré un spécialiste du droit constitutionnel congolais consulté par l’AFP.
« Kabila doit démissionner »
« La décision de la commission électorale est inconstitutionnelle », a déclaré un spécialiste du droit constitutionnel congolais consulté par l’AFP. « Elle prive une partie de l’électorat de son droit constitutionnel d’élire les dirigeants de leur choix », ajoute-t-il.
La police a tiré et envoyé des gaz lacrymogènes pour disperser des manifestants à Beni, a constaté un correspondant de l’AFP. Au moins six personnes ont été arrêtées à Goma où des barricades ont été dressées en plusieurs points du chef-lieu provincial du Nord Kivu, selon une autre équipe de l’AFP.
C’est dans ce contexte pré-électoral incertain que le prix Nobel de la paix Denis Mukwege a fait son retour dans la province voisine du Sud-Kivu où il a été accueilli par 2 à 3.000 personnes, a constaté l’AFP.
« Le président Kabila doit démissionner, et son groupe de copains corrompus doit être remplacé », avait écrit le docteur Mukwege dans une tribune publiée par le New York Times vendredi.
« Aussi longtemps que l’actuelle gouvernance reste en place, n’importe quel scénario électoral ne mènera qu’à plus de violence, plus d’instabilité et un plus grand risque de sombrer dans la dictature », avait-il ajouté en demandant des pressions et des sanctions internationales.
Une délégation de diplomates africains était attendue ce jeudi à Kinshasa pour porter au président Kabila les conclusions d’un sommet régional sur la RDC qui s’est tenu la veille à Brazzaville, en l’absence de Kinshasa.
Les élections présidentielle, législatives et provinciales prévues dimanche doivent entre autres désigner le successeur du président Kabila qui ne peut pas se représenter d’après la Constitution.
Ces élections ont été trois fois reportées depuis la fin du deuxième et dernier mandat constitutionnel du président Kabila: de décembre 2016 à décembre 2017, de décembre 2017 au 23 décembre 2018, puis du 23 au 30 décembre 2018.
Le président Kabila a désigné un « dauphin », son ex-ministre de l’Intérieur sous sanctions de l’Union européenne Emmanuel Ramazani Shadary.
Des violences ont émaillé la campagne, avec une dizaine de morts selon plusieurs sources, ce que nie le pouvoir.
(Avec Agences)